Verset(s) de la Bible Jn 1,1-18

Le Prologue de Jean est un des textes les plus connus.
Pourtant, si on y prête attention, certains versets ne sont pas si aisés à comprendre...
ou peuvent être interprétés de différentes manières.

L'auteur juif de ces versets avait en lui une conception du monde et une expérience du Verbe fait chair.

Le commentaire qui suit aidera à entrer dans cette conception et dans cette expérience de l'auteur, en montrant notamment son enracinement dans le judaïsme apocalyptique et dans la rencontre de Jésus.

Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous. 

Le Prologue de Jean

(1,1)  Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu.
(1,2)  Il était au commencement avec Dieu.
(1,3)  Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut.
(1,4)  Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes,
(1,5)  et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie.
(1,6)  Il y eut un homme envoyé de Dieu. Son nom était Jean.
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Les fondements Bibliques, pages 16, 51).
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre MEMOIRE 1  
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem ECRITURE 1  
Missions Judéo-chrétiennes MEMOIRE 2  
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse RELECTURE 1  
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques RELECTURE 2  
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
A l'époque des rois Ptolémée (-323 à -116) la Torah est affrontée à la Sagesse des Grecs. (+1)

Mémoires d'Egypte et de Palestine

(Si 24,23)  La Torah de YHWH, seul Dieu du ciel et de la terre et Dieu d'Alliance, revêt les attributs de la Sagesse grecque. Elle peut ainsi prendre la place du Logos de la philosophie grecque sur le modèle platonicien, stoïcien ou épicurien, ou encore selon le modèle des idées incorporelles de Philon d'Alexandrie dans le début du "de opificio mundi". (+2)  
 
(Ba 4,1)  La Sagesse créatrice se confond maintenant avec "le livre des préceptes de Dieu, la Torah qui subsiste éternellement".  
 
(Sg 2,23s)  La Sagesse créatrice étant celle d'un Dieu d'Amour, il crée l'homme en le transfigurant par amour à son image de sorte qu'il est "incorruptible" (ep'aphtharsia = doté d'incorruptibilité) tant qu'il reste dans cet Amour.
en savoir plus
(+1)
Dans la Bible de langue grecque, le Logos appartient au vocabulaire stoïcien et désigne « la raison immanente au monde » présente dans l'homme et gouvernant le monde. Justin (Apol. 5,4) utilisera ce terme pour parler du Christ. Mais il est douteux que l’époque de Jésus ou celle de la rédaction des Evangiles ait utilisé ce concept avec son sens grec, tant avait été grand l’effort de la pensée juive pour substituer l’image de la Torah aux concepts de Sagesse. Cet effort est bien sensible dans l’œuvre du Siracide (Si 1,26s) ; (Si 1,11-20) etc...C'est donc le Logos au sens de la Parole de Torah ou au sens araméen de "Memra d'YHWH" qui est voulu par les auteurs du N.T.
L’œuvre de Philon (contemporain de Jésus) nous met en présence d’une véritable personnification de la Parole divine (De somniis, Cerf 19 (1962) 119,223). Ce Logos est « premier-né », « image de Dieu » d'après laquelle l'homme a été créé. Le Logos s'est exprimé à travers Moïse dans la Torah. 
Dans le livre de la Sagesse, Sagesse et Parole (de Torah) apparaissent comme voisines. Sg 9,1.2 : "Dieu qui as fait l’univers par ta « parole » et as formé l’homme par ta « sagesse »".
(+2)
C’est sans doute dans le livre du Siracide que l’on peut le mieux percevoir comment les deux univers, grec et hébraïque, se recouvrent. Il faut donc nous attacher à mieux en discerner la pensée. 
Dès le début du livre du Siracide, il est clair que la Sagesse, tout en étant créée (1,4.9.14), est assimilée à la « crainte de Dieu », laquelle est le commencement (1,14), la plénitude (1,16), la couronne (1,18) et la racine (1,20) de la sagesse. 
Par contraste avec la simple sagesse humaine, la « crainte de Dieu » dont parle le  Siracide est, comme dans la tradition biblique du Deutéronome, le fruit de l’Alliance avec Dieu. C’est pourquoi, celui qui désire la Sagesse, doit observer les commandements. C’est en cette observation que consiste la « crainte du Seigneur » (1,27.28.30) ; 2,16)). « Apprends la crainte du Très-Haut » (6,37 hébreu ire'at 'elion) a pour synonyme : « Applique-toi sans cesse à ses commandements » "et la sagesse que tu désires te sera donnée". La crainte du Seigneur consiste aussi à observer les lois sacerdotales (7,31). Ceux qui sont dignes d’honneur sont ceux qui craignent le Seigneur. Ceux qui sont indignes sont ceux qui transgressent les commandements (10,19). 
La Sagesse se confond donc bien avec la Torah... Et de même que les grecs placent la Sagesse à l’origine du monde, le Siracide placera la Torah, elle aussi, à l’origine du monde et dans une position d’excellence par rapport à la Sagesse ((Si 24,23) ; mais aussi en (Pr 8,22-31)) et (Ba 3,29-4,4)). 
Il se trouve donc que, pour le Siracide, le monde a été créé par une Sagesse apparentée à la Torah et qui en a toutes les caractéristiques : elle est « issue de la bouche » de Dieu (Si 24,3) et est donc Logos (parole), mais elle est aussi comme une colonne de nuée (Si 24,4), elle plante sa tente en Jacob (Si 24,8), et finalement elle n’est autre que la Torah (Si 24,21-23).
fermer
La réflexion des juifs en Egypte a un écho en réciprocité avec les juifs de Palestine. (+1)
Toutes les notes + de ce prologue sont développées, avec leurs références bibliographiques, dans J. BERNARD, "Lectures des V.9-13 du prologue de Jean" dans : Le prologue de Jean. Graphe n°10. (2001) (Centre de recherche de l'Université Charles de Gaule. Lille 3) pp. 61-101.
DANS LE JUDAÏSME DE LANGUE SÉMITIQUE

Dans l'Ancien Testament, « la Parole » ou « le Logos » peuvent se traduire par l’hébreu davar. C’est une parole/événement ((Ps 33,6.9) ; (Sg 9,1)), providence ((Is 40,26) ; (Is 48,13) ; (Ps 147,15.18)), force de vie et de salut ((Dt 32,46) ; (Is 40,8) ; (Ps 107,20)) ; (Sg 16,12.26)) devenant Torah ((Dt 30,11s) ; (Ps 119,89-96)). La Parole est même personnifiée en (Is 55,10s).
Le choix est trop vaste pour être éclairant. 

On ne peut pas non plus exclure les harmoniques pauliniennes ni celles de l’utilisation habituelle du mot « Logos » dans le quatrième Evangile. 

Dans le Targum, « la Parole » traduite par l’araméen "Memra" prend souvent un sens plus précis et est employé chaque fois qu’en parlant de Dieu, un anthropomorphisme est à craindre. Le mot finit par désigner une personnification de YHWH destinée à préserver la transcendance divine. Là encore, cette signification peut être éclairante et en pleine harmonie avec ce que nous avons dit de l’adéquation entre le "shaliah/envoyé et celui qui l’envoie. (+1)
en savoir plus
(+1)
Dans le midrash tannaïtique (contemporain, dans ses traditions les plus anciennes, de la rédaction des Evangiles), la Parole sinaïtique peut, à chaque énoncé des dix commandements divins, prendre la forme d’une langue de feu qui grave la Parole divine sur les pierres. Dans le midrash de Yohanan, cette Parole est adressée à tous les peuples. La Torah est préexistante au monde. Mais, comme dans Siracide (Si 24,6) ou le targum de (Dt 33,2), les nations la refusent, laissant à Israël le privilège de l’Alliance.
fermer
(ECRITURE 1)
Le Prologue a connu une première écriture en contexte apocalyptique où le dévoilement de la Torah dans le Verbe se fait en deux temps : Jean Baptiste puis finalement Jésus.(+1)
Il faut éclairer le mot "Logos" de notre Prologue par l'usage qui en est fait dans l'ensemble de l'Evangile de Jean. (+2)  


LECTURE APOCALYPTIQUE DU PROLOGUE

(1,1)  Au commencement était le Verbe.
L'imparfait "était" montre que le commencement n'est pas, comme en (Gn 1,1), le moment ponctuel de la création du monde, mais ce qui "était" avant ce moment ponctuel qui ouvre la Bible. Le "Verbe" (en grec "Logos") est donc, comme la Sagesse (Si 24,23) (Ba 4,1), préexistant à la création. Mais alors que la sagesse est une créature (Si 24,8), le Logos n'est pas dit "créé".  
Le logos est la traduction en grec de plusieurs mots sémitiques : hébreu Davar/ araméen Memra = Parole de création. Ou encore Shekhinah/présence de Dieu. Ou Torah/instruction de Dieu.
Le "Verbe" (mot français issu du latin) en est la traduction au troisième degré. Il a donc de multiples facettes. (+3)
et le Logos était tourné vers Dieu.
Pros
+ accusatif = tourné vers. Comme l’était Moïse quand il recevait la Torah. Moïse était "l'envoyé"/shaliah de Dieu (Ex 3,10-14). Il était tourné vers Dieu selon (Ex 34,34). Le Verbe en Dieu, Parole en dialogue, pouvait être tourné vers Dieu sans que cela s'oppose à son unité avec Dieu. (+4)   
et il était de Dieu le Logos.
Tout en étant tournée vers Dieu comme Moïse, la Parole était celle de Dieu à la différence de Moïse qui disait la Parole de Dieu mais n'était pas la Parole de Dieu. On a ici une trace de la manière dont l'apocalyptique concevait un lien entre le ciel et la terre dans un interlocuteur, "le Fils d'homme" en Dieu, véritable Parole en dialogue entre Dieu et les hommes (cf. Boyarin : Le Christ juif, Cerf 2013 Ch. 1) (+5)

En bref : (v. 1) La logique juive fonctionne bien : on part du Logos avant la création, décrit comme Parole du Shaliah. Cette Parole (qui, comme Memra ou shekhinah est si proche de Dieu qu’elle lui sert souvent de substitut pour éviter les anthropomorphismes) est, à l'instar de Moïse dans l'arche, tournée vers Dieu et vers le monde qu'elle crée et fait vivre par sa Lumière.

(1,2)  Celui-ci était au commencement tourné vers Dieu. 
Comme Moïse dans la tente de la rencontre, le Verbe était tourné vers Dieu, et ce, avant la création du monde, comme Torah préexistante à la création (Si 24,23 ; Ba 4,1). (+4)
(1,3)  Tout survint par lui.
Mieux encore que la Torah créée préexistante au monde, le Verbe présidait à toute création, même celle de la Torah. 
et sans lui rien ne survint.
La création n'a pas le tohu-bohu comme matière initiale ou comme démiurge. Le monde est fait de rien, comme il est dit en (2 M 7,28).    
(1,3c)  Ce qui survint,
pas seulement le monde mais toute son histoire.
(1,4) en lui était vie, et la vie était la lumière des humains.
Car la Torah est don de vie à Israël (Dt 30,15). En tant que Torah céleste apocalyptique, transmise par Moïse ou Élie, elle est aussi présente comme "lumière" dans la Sagesse des peuples. (+6)

En bref : (v.2-4)
Présidant à la création du monde ce Logos est lié à la Torah et la Sagesse. Ces dernières, à la différence du Logos, sont créées par Dieu. La Torah créée sert de modèle à la création et la Sagesse créée joue auprès de Dieu quand il crée. Le Logos, lui n’est pas dit créé. La Torah créée, issue du Logos/Verbe incréé ne peut être que celle qui existait avant le péché de l’homme.
Cette Torah-lumière originelle fut à la fois modèle de la création et fut parole adressée à toutes les créatures. Pourtant la ténèbre, que ce soit les païens du midrash de Yohanan ou que ce soit les pécheurs en Israël, a amené Dieu à refouler dans le ciel sa Torah, désormais cachée dans les « livres scellés » (+6), et sa « shekhinah » qui a quitté le Temple terrestre pour le Temple céleste.   

(1,5) et la lumière (Torah apocalyptique ou Élie) dans la ténèbre luit et la ténèbre ne l'a pas retenue.
E
lle a brillé dans la ténèbre. La ténèbre désigne ici le paganisme mais aussi ceux qui ont refusé l'apocalyptique et sont appelés "fils de ténèbres" à Qumran. (+6)

En bref :
(v.5) Malgré tout, le péché ne peut arrêter le désir de Dieu de communiquer aux hommes la Torah et le pardon du Temple. La ténèbre n’a pu arrêter la lumière et l’empêcher de se manifester à nouveau.     

en savoir plus
(+1)
Tous les commentateurs et tous les plans sont gênés par le fait suivant : c’est au v. 14 que le Logos, compris comme le Christ dans sa préexistence se fait chair. Or dès les v.6-8, il est dit que le Baptiste a déjà témoigné de lui. 
Pour pallier cette difficulté, il faut ou bien prendre de la hauteur en renonçant à l’histoire, ou bien mutiler le texte en lui retirant des inserts jugés tardifs. 
L’exégèse historico-critique a eu tendance à opter pour la seconde voie. Il suffisait de supprimer la première mention du Baptiste comme un ajout de la primitive Eglise soucieuse d’éviter la concurrence entre Jésus, la « vraie lumière » et Jean, « qui n’était pas la lumière ». Ou encore, comme le suggérait Bultmann, voir dans le prologue un hymne baptiste auquel on aurait inséré des ajouts chrétiens. 
L’exégèse de tous les temps a souvent préféré prendre de la hauteur. Sans parler des lectures ésotériques où le tout est noyé dans la gnose théosophique ou anthroposophique, deux tendances ont donné des lectures globales possibles et cohérentes : l’une lit l’ensemble comme trois aspects de l’épiphanie du Logos : de 1 à 4, le Logos dans sa pré-existence ; de 5 à 13 son épiphanie dans le monde témoignée par Jean Baptiste. Enfin, de 14 à 18, l’incarnation de cette épiphanie en Jésus. L’autre parle plus volontiers  de trois vagues christologiques :  dans une première vague, le Logos pré-existant connaît une première manifestation en Jésus témoignée par Jean Baptiste. Dans une seconde vague, on aurait un rappel de cette manifestation du Logos manifesté en Jésus conforme à l’histoire évangélique commençant, de fait, par le témoignage du Baptiste. Une troisième vague ouvrirait à un développement de la christologie du Logos incarné, sur le plan de la foi.
(+2)
Si, dans l’Evangile de Jean, on élimine les occurrences où le mot « Logos » peut n’avoir que le sens commun de « parole », il reste plusieurs séries de citations où le mot a un sens plus large susceptible de correspondre au Logos de notre Prologue.
Une première série de dix occurrences où Jésus met lui-même en avant sa Parole. Or, à chaque fois, cette parole réalise un des attributs de la Torah. Sa Parole donne la vie éternelle (5,24) et permet de connaître la vérité qui établit dans la liberté que donne la communion à Dieu  (8,31) ; le fait de la refuser manifeste la filiation satanique de mort présente dans le meurtre de Caïn (8,37.43) ; la Parole de Jésus empêche de voir la mort ou de la goûter (8,51s) ; elle juge celui qui n’aura pas cru (12,48) ; elle permet que Dieu vienne habiter chez le croyant (comme la Torah dans l’arche) (14,23) ; elle rend pur (15,3) et, enfin, c’est une parole qui se transmet au disciple comme celle de Moïse ou d’Elie (15,20).
(+3)
Il est dit de ce Logos qu’il « était » « au commencement ». C’est la traduction de l’hébreu "bereshit". Mais le texte ne rapporte pas, comme dans (Gn 1,1), un acte de création ponctuel situé au commencement (et donc à l'aoriste en grec). Le verbe est ici à l'imparfait et il décrit une situation antérieure à ce commencement de la création. Le commencement n'est donc pas, comme dans (Gn 1,1), le commencement de la création. Ce qui était avant (à savoir : le Logos) est donc pré-existant (cf. la Sagesse que Dieu a créée avant, pré-existante au monde en (Pr 8,22) ; (Si 24,9) et assimilée à la Torah). Mais alors que la Sagesse est toujours « créée » par Dieu, ici il n'est pas question de création du Logos. Il est dit qu'il "était" avant.   
(+4)
Il "était", dans sa préexistence, « pros ton théon ». Mot à mot : « tourné vers Dieu ». Ici le Logos est dit tourné vers Dieu ("pros + l'accusatif" marque un mouvement : « Towards God » ou, selon le philologue Edouard DELEBECQUE, Evangile de Jean : « face à Dieu ». On retrouve "eis + accusatif" au v. 18 et là, il n'y a pas d'ambiguïté). Le Logos n'émane pas seulement de Dieu mais il se reçoit dans un face à face, comme lorsque Moïse était tourné vers Dieu pour  recevoir la Parole sinaïtique. L’accusatif indique un mouvement. Dans le texte du prologue, cette proximité dynamique du Logos se joue avec Dieu. Ce pourrait donc signifier la prière. Mais ce peut aussi être une bonne réplique du pros kurion cité par Paul en (2 Co 3) (cf. supra) et qui renvoie à la Révélation de Dieu à Moïse dans l’arche (Ex 34,34). Dans la mesure où il y a identification entre la Parole prononcée et celui qui la prononce, le Logos comme Moïse pouvait être « tourné vers Dieu ». Or si le Logos désigne aussi l’Evangile chez les évangélistes synoptiques, Jean, nous l’avons vu plus haut, insiste davantage sur l’envoyé (shaliah) dont la Parole s’identifie à celle du Père. Nous sommes donc là dans un univers de pensée hébraïque bien plus qu’hellénistique.
(+5)
« Il était, dans sa préexistence théos = Dieu ». Dans les meilleurs manuscrits il n’y pas d’article. L’article pourtant s’imposerait en bon grec si le Logos était confondu avec le seul Dieu. Cependant on ne peut pas non plus traduire : « divin » (on aurait théios). C’est sans doute que là encore nous évoluons dans un univers de pensée hébraïque et non grec. Dans un univers hébraïque, l’adjectif « divin » n’existe pas, et Dieu peut donc être ici employé en attribut et donc sans article.
Il y a aussi six occurrences dans lesquelles la Parole est celle de Dieu lui-même ou du Père. Jésus connaît Dieu et garde sa parole (8,55) ; cette parole que Jésus dit n’est pas de lui mais de Dieu (14,24) ; cette parole qui est l’Ecriture permet d’appeler dieux (ou juges selon la tradition juive) ceux à qui elle est adressée (10,35).  Jésus a manifesté Dieu aux siens et ils ont gardé la parole de Dieu (17,6). En donnant la parole de Dieu (17,14) Jésus a été « shaliah » (envoyé/identique) de Dieu, à l’instar de Moïse ou d'Elie, les seuls à bénéficier directement de ce titre qui, dans la tradition juive, met l’accent sur la similitude d’identité plus que sur la mission. Les disciples seront à leur tour consacrés par la vérité qui consacre Jésus (17,17). Ils seront « shelihim » (envoyés/adéquat) eux aussi, à l’instar de Josué et d’Elisée. Les adversaires n’ont pas sa parole parce qu’ils ne croient pas à l’envoyé « shaliah » qu’est Jésus (5,38). Il y a, ici  encore, identification entre la Parole de Dieu et celle de l’« envoyé ». Dans cette seconde série de citations, il ne s’agit plus seulement de la Parole comme Torah, mais de la Parole d’un Autre, transmise authentiquement par un intermédiaire dûment patenté. 
En conclusion, on peut dire que les utilisations du mot Logos chez Jean, quand elles ont une portée symbolique, renvoient à la Torah que Dieu a donnée par l’entremise de Moïse dont il a fait son « envoyé/adéquat ».
(+6)
« Et la lumière dans la ténèbre brille. » La lumière est, dans la tradition juive, un autre nom de la Torah (BEI 43). La « lumière » est le second nom de la Torah dans les Antiquités bibliques du Pseudo-Philon. On se rappellera aussi que, dans le Siracide, Elie est appelé la « torche ». La lumière peut donc aussi se rattacher à une appellation de la Torah en perspective apocalyptique
La première manifestation de la lumière au Sinaï a été refusée par les nations. Or quand elle est venue planter sa tente en Jacob, n’a-t-elle pas aussi été refusée ? De sorte que « la ténèbre » peut désigner les « nations païennes », mais dans le contexte apocalyptique, l’expression peut aussi désigner l’Israël pécheur, dont le péché a causé le départ de la « shekhinah » et donc le règne de la ténèbre. D’ailleurs à Qumran, l’Israël pécheur est désigné comme « fils de ténèbres ». 
Cette Torah-lumière originelle (LAB 22,3 ; BEI index p. 1877) fut à la fois modèle de la création et fut parole adressée à toutes les créatures. Pourtant la ténèbre du péché, que ce soit celui des païens du midrash de Yohanan ou celui des pécheurs en Israël, a amené Dieu à refouler la Torah céleste. Elle est désormais cachée dans les « livres scellés » (BEI 152 ; 1306), comme la "présence de Dieu/shekhinah" qui a quitté le Temple terrestre pour le Temple céleste. 
Nous retrouvons le clivage des spiritualités entre Judaïsme apocalyptique et Judaïsme officiel pré-rabbinique. Le clivage se retrouvera après la chute du Temple (+70), entre judaïsme rabbinique ouvert à l’apocalyptique à Lod et judaïsme officiel à Yabné qui excommuniera les tenants de l'apocalyptique à la fin du premier siècle de notre ère, au temps de la lutte entre rabbin Eli’ezer et rabbi Yoshua. 
fermer
(ECRITURE 1)
Jn 1,6-11 : arrivée de Jean Baptiste.
Dès lors que, dans la lecture juive apocalyptique, le verset 5 ne désigne plus l’arrivée de la lumière en Jésus mais le dévoilement de la Torah scellée telle qu’elle était prêchée par le maître de Justice et déjà vécue par sa communauté, le témoignage du Baptiste n’est plus un témoignage en direction de Jésus mais en direction de cette Torah nouvellement prêchée par le maître de la communauté. Ce n’est qu’à la suite du verset 14 que le témoignage de Jean Baptiste portera cette fois sur Jésus. Il n’y a donc plus ni doublet entre les versets 6-8 et 15 ni anachronisme puisque les versets 6-8 ne parlent plus de Jésus avant qu’il ne se soit incarné.

La mission de JEAN BAPTISTE

Les versets 6-14, correspondant à la compréhension apocalyptique du Logos, ouvrent sur la prédication du Baptiste comme on la trouve dans les Evangiles synoptiques ((Mt 3,1-12) ; (Mc 1,1-8) ; (Lc 3,1-18)). C’est un point de convergence de plus entre Jean et les synoptiques. Jean Baptiste témoigne de la « lumière » c’est-à-dire de la Torah cachée dans le ciel à cause des fils de ténèbres, mais qui reviendra éclairer le monde comme au premier jour de la création.
(1,6)  Survint un homme envoyé d’auprès de Dieu. son nom était Jean.
Jean Baptiste comme "shaliah" de Dieu, à la suite de Moïse ou comme Élie, autre bénéficiaire du titre de "shaliah" a été envoyé. (+1)
(1,7)  Celui-ci vint pour un témoignage afin qu'il témoigne de la lumière
En annonçant un dévoilement (apocalypse) les livres « scellés » assimilés souvent à la "lumière céleste" (Philon).
afin que par lui tous croient
pour ré-ouvrir la pratique de la Torah à la foi en une nouvelle intervention de Dieu.
(1,8)  Celui-là n'était pas la lumière mais afin qu'il témoigne de la lumière
dans sa prédication apocalyptique de "shaliah/envoyé.
En bref : (v. 6-8)
Cette apocalypse de la lumière et du pardon célestes (et pas seulement de la Torah sinaïtique et du Temple terrestres) revient naturellement à Elie dont l’attribut en Siracide est la « torche » et dont le rôle apocalyptique en (Ml 3,24) est de « ramener le cœur des Pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères ».
Ce rôle d’Elie a été attribué tardivement à Jean Baptiste quand l’ascension a conduit Jésus à n’être plus seulement Elie, Moïse ou le prophète, mais le Messie davidique assis à la droite de Dieu. C’est la raison pour laquelle Jean Baptiste apparaît ici dans sa fonction de prophète apocalyptique, avec la précision toutefois que ce n’est pas lui Elie ou « la lumière ». Son rôle se limite à rendre témoignage à la Torah céleste en prêchant le baptême de pénitence en vue de la fin du monde. Mais la prédication du Baptiste a préparé la voie en ce sens qu’elle a bien posé les conditions de la réouverture du ciel qui sera au cœur de la prédication de Jésus à partir de son baptême qui en fut la première manifestation.  
(1,9)  Elle était la lumière, la véritable, qui illumine tout humain venant dans le monde.
La vraie lumière était bien la lumière originelle par laquelle le monde avait été fait et qui avait été à la fois la vie et la lumière de toute la création. Mais cette lumière échappe au regard de l’homme depuis le péché qui a entraîné le retrait de la Torah et de la Shekhinah derrière le voile qui empêche d’en voir le mystère. 
(1,10)  Il, le Logos-Lumière de Torah originelle, était dans le monde, et le monde survint par lui, et le monde des païens ne le connut pas.
Les païens ont refusé la Torah comme Parole adressée à tous au Sinaï. Dans le judaïsme officiel la Sagesse est presque identique à la Torah, toutes deux proches de la Parole pré-existante au monde (Si 24,23) ; mais ce n'est pas le cas dans l'apocalyptique, pour lequel la Révélation progressive joue un rôle déterminant après les péchés récurrents à chaque nouvelle manifestation de Dieu. Et cette récurrence du péché, des veaux d’or et autres refus, crée un état de divorce qui vaut à la fois pour les païens et pour Israël.
(1,11)  Il vint dans son domaine, Israël par le biais des prophètes apocalyptiques, et les siens ne l'accueillirent pas.
Non seulement autrefois au temps des veaux d'or, mais actuellement par le refus d'un dévoilement de la Torah voilée par le péché et nécessitant une irruption prophétique et une conversion telles que le Baptiste les prêche et que pourtant Israël refuse. Heureusement il y a les fidèles de Jean Baptiste et de son apocalyptique.  
(1,12)  Mais à tous ceux Abraham, Moïse, les baptistes, Qumran qui l'accueillirent comme Torah originelle ou sinaïtique ou apocalyptique, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom
par la foi et non les œuvres, puisqu’il s’agit de la Torah céleste derrière la Torah sinaïtique. Ils sont les « fils de lumière » contrairement aux autres qui sont « fils des ténèbres ». Ceux qui l’ont accepté (baptistes) pouvaient devenir enfants de Dieu. A Qumran, ils prennent leur repas avec les anges qui sont appelés "fils de Dieu" (+2). Et ils sont "fils de Dieu" comme tout fidèle qui vit parfaitement de la Torah.
(1,13)  Eux qui, ni par le sang, ni par la chair, mais de Dieu furent engendrés.
Une dernière fois le prédicateur insiste sur le fait que cette filiation ne vient pas de la chair et du sang. On a un vrai parallèle à cela dans la prédication du Baptiste attestée par les Synoptiques ((Mt 3,9) ; (Lc 3,8)). Ce n’est pas la filiation d’Abraham par le sang qui fait le vrai fidèle. Dieu en effet « peut faire de ces pierres des enfants d’Abraham ». Ce qui fait la filiation, c’est la « foi » d’Abraham qui produit des « fruits de conversion » en ouvrant à la nouvelle révélation divine annoncée par le prophète Jean Baptiste. Si les auditeurs du Baptiste accueillent cette Révélation, ils sont à nouveau engendrés par Dieu comme au premier jour de la création puisque, dans la prédication du prophète, la Torah et le Temple originels leurs sont de nouveau accessibles. On peut alors penser, comme le faisaient Jean Baptiste et les Esséniens de Qumran, que les temps de la fin sont proches. (+2)

En bref : Telle a pu être la prédication de Jean Baptiste. Il attendait cette venue comme une fin du monde. « La hache est à la racine de l’arbre, le vanneur va venir dans son aire pour le grand tri du jugement ». Cette prédication cadre parfaitement avec celle des synoptiques et avec ce que nous connaissons des « testaments des douze patriarches » ou de la prédication du Maître de Justice. Même si Jean Baptiste n’était pas un membre de la communauté de Qumran et ne vivait pas cloîtré, il se situait dans la même mouvance spirituelle.
en savoir plus
(+1)
Le "shaliah" est un terme juridique qui se définit : domeh lisheluho/identique à celui qui l'envoie (cf. J. BERNARD, "Le shaliah de Moïse à Jésus-Christ et de Jésus-Christ aux apôtres", dans La vie de la Parole, Mélanges Grelot, Desclée 1987 p. 409-420). Seuls Moïse et Elie pouvaient prétendre à ce titre du fait qu'ils avaient tous les deux été en présence de Dieu au Sinaï ou à l'Horeb. Les adeptes de l'apocalyptique voyaient leur "Maître de justice" comme Elie revenu sur terre, du fait qu'il avait été emporté dans le ciel sans mourir. Jean Baptiste a pu ainsi hériter du titre. Et Jésus après lui.
(+2)
"Fils de Dieu" (BEI 43s ; 51) Israélites Fils de Dieu par grâce de création en obéissant à la Torah sinaïtique ou Fils de Dieu par foi en la nouvelle apocalypse de Jean Baptiste. Ils vivent le célibat comme le décrit F. Josèphe dans sa description des quatre philosophies (Guerre II,120) ou comme le montre le fait qu'il n'a pas été retrouvé d'os d'enfant pendant un long moment de la vie de la secte, ou comme le montre encore le "de vita contemplativa" de Philon d'Alexandrie se terminant par le retour des fidèles dans leurs laures après la fête de Pentecôte qui célébrait l'attente d'une "nouvelle Alliance" et qui déclarent ne plus vouloir d'autre fécondité que celle que leur donne la Torah.
fermer
(ECRITURE 1)
Et le Verbe s'est fait chair.

L'INCARNATION DU VERBE

(1,14)  Et le Logos  Torah-lumière originelle céleste et sinaïtique devint chair, et il planta sa tente (+1) parmi nous et nous avons vu sa Gloire, Gloire comme Fils-unique d'auprès du Père, rempli de la grâce de la Vérité.
Et la parole devint chair (Jésus) attestée par Jean Baptiste. C’est Lui qui, comme prophète a dévoilé la Parole Torah cachée. 
(1,15)  Jean lui rend témoignage et il s'écrie : "C'était celui dont j'ai dit : celui qui vient après moi est au dessus de moi, car avant moi il était".
Jean Baptiste situe le Verbe au dessus de sa propre prophétie, c'est-à-dire au moins au niveau de la Torah originelle dont Jean nous dit que ce Verbe était celui de Dieu et pas seulement un Verbe créé comme l'étaient la Torah ou la Sagesse en (Si 24,23). 
(1,16)  Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu : grâce pour grâce. 
Jésus est né. Il s’est révélé comme Élie par le pardon qu’il apportait (Ml 3,23s) et les miracles semblables à ceux d’Élie/Élisée. Mais il s'est aussi révélé plus grand que Moïse dont il interprétait la Parole en toute autorité. Il est donc le Verbe de Dieu lui-même. 
(1,17)  Car la Torah fut donnée par Moïse, la grâce de la vérité advint par Jésus Christ. C’est Lui qui dévoile la Parole Torah cachée et pas seulement la Torah donnée à Moïse après le péché. 
(1,18)  Dieu personne ne l'a jamais vu, le Fils unique, Dieu, qui est vers le sein du Père, celui-là a dévoilé.
Et Dieu, que personne n’a jamais vu, a pu dans le Verbe fait chair en Jésus, se dévoiler, venant du ciel.
en savoir plus
(+1)
En aval des versets 9-13 le Logos est dit revêtir les attributs de la « shekhinah ». Au verset 14, en effet, on dit du Logos qu’il se fait chair et qu’il a planté sa tente (eskenosen) parmi nous. Le Siracide, avons-nous vu plus haut, disait aussi que la Sagesse/Torah était venue habiter les tentes de Jacob. Cette habitation de Dieu dans sa tente se dit en hébreu « Shekhinah ». Il nous faut donc analyser les principaux attributs de la « Shekhinah ». 
La Shekhinah ou habitation de Dieu sur la terre était non seulement une manière de parler de l’action de Dieu en faveur de son peuple et de sa présence dans la Temple, elle servait aussi, comme nous l’avons vu en araméen pour le Memra, de substitut pour éviter de parler de Dieu de manière anthropomorphique. 
Dans le judaïsme officiel pré-rabbinique et rabbinique, la Shekhinah a été donnée comme la Torah à tous les peuples. Israël est seul à avoir pris sur lui le joug de la Torah. Les autres peuples étant bien trop pécheurs pour l’accepter. Cet accueil inconditionnel de la Torah a mérité pour Israël que la Shekhinah l’habite de manière immuable. La Shekhinah ne peut pas quitter Israël, même lorsque celui-ci est pécheur. La présence comme source de révélation et d’expiation est donc garantie à Israël et suffit à son salut jusqu’à la fin des temps. Il n’est plus besoin de nouvelle révélation par un prophète individuel et encore moins rédempteur puisqu’il n’y a pas de péché susceptible de refouler la Shekhinah dans le ciel. 
Il n’en va pas de même dans le judaïsme pré-rabbinique apocalyptique. Là au contraire, le fait que la Shekhinah comme la Torah ait été refusée par les peuples montre la vulnérabilité de Dieu dans le dialogue avec l’humanité. Cette même vulnérabilité fait que le péché d’Israël (et pas seulement celui des nations) a pu refouler la Shekhinah dans le ciel. De sorte que la Torah y est réfugiée sous forme de livre scellé tandis que le Temple y est réservé pour le jour où Dieu viendra lui-même le donner dans un Temple qui ne sera plus fait de mains d’hommes. La condition de cet accueil consiste à mettre l’accent sur une foi qui ouvre à la nouveauté de la révélation et du pardon et non sur la permanence d’une règle du jeu qui laisse la priorité aux œuvres dans la manière de vivre la relation à Dieu. Cette voie de la foi est évidemment celle des courants apocalyptiques présents à Qumran mais aussi dans le judaïsme pharisien à tendance apocalyptique non polarisé sur le sacerdoce officiel. C’est aussi un courant de prêtres comme cela apparaît dans le 4QMMT comme aussi chez Zacharie et la famille Elisabeth, Marie, Jean Baptiste et... Jésus. 
fermer
La même thématique du Logos ou de la Parole dans son acception apocalyptique est utilisée par Paul dans ses épîtres avant la rédaction des Evangiles et de l'Evangile de Jean.

ECRITURE paulinienne sur le même socle d'Ancien Testament

Paul utilise le mot logos sur un même fond de tradition ancienne entre le judaïsme officiel avec l'apocalyptique.
Chez Paul on rencontre une thématique de la communication de la Parole très proche de celle que nous venons de relever chez Jean quand il utilise le « Logos » de manière symbolique. Elle est illustrée, comme dans le judaïsme de son temps, par le rôle de Moïse. Celui-ci partage avec Elie – et leurs successeurs respectifs, Elisée et Josué – l’exclusivité de l’attribut de « shaliah » de Dieu (envoyé/adéquat). Paul, en (2 Co 3), applique ce modèle à Jésus et aux apôtres choisis par le Maître. L’apôtre successeur de Jésus tire sa « shelihut » de celle de Jésus, laquelle dépasse infiniment celle de Moïse. En effet, si la gloire de Moïse – qui n’était le shaliah que d’une gloire passagère – a été telle que le peuple ne pouvait le regarder par peur d’en mourir, quelle doit être la gloire du shaliah qui a vu dans le Christ l’aboutissement de ce que Moïse ne voyait qu’inchoativement (2 Co 3,7-11). L’apôtre est donc celui qui réfléchit comme en un miroir la Gloire de Dieu qui est sur la face du Christ et est progressivement métamorphosé en cette même Gloire... (2 Co 3,18) « Et le Dieu qui a dit : que du sein des ténèbres brille, est celui qui a brillé dans nos cœurs pour y faire resplendir la connaissance de la gloire qui est sur la face du Christ » (2 Co 4,6). 
Ceci constitue une série de thèmes que Paul a en commun avec le Prologue. (+1)   
en savoir plus
(+1)
Une telle série de parallèles s’explique au mieux si Jean se réfère comme Paul, à une donnée fondamentale du credo primitif, bien avant la destruction du Temple et la séparation d’avec la synagogue. Le conflit qui y est exprimé est non pas celui d’un christianisme élaboré avec une synagogue qui l’exclut, mais le conflit d’une prédication apocalyptique qui voudrait trouver sa place dans le judaïsme officiel du Temple. Somme toute un conflit assez voisin de celui de Paul. Ce dernier – issu des milieux officiels qui lui faisaient confiance au point de le mandater pour arrêter les chrétiens – passe, après la vision de Damas, dans le camp de ceux qui voient en Jésus une nouvelle apocalypse divine.
Paul, à Damas, est passé de la première à la seconde spiritualité. Le Christ ressuscité lui a ouvert le ciel et décillé les yeux. De ce fait il voit Jésus comme le prophète révélant le mystère de la miséricorde et des livres scellés de la Torah. Comme « nouvel Elie » et refaisant ses miracles, le prophète nazôréen en a été le shaliah parfait. A son tour, l’apôtre chrétien est shaliah dans le shaliah parfait qu’est le Christ. Et cette gloire communiquée aux hommes en Jésus dépasse celle communiquée par Moïse de toute la différence qu’il y a entre ce qui est « passager » par rapport à ce qui « demeure » et de tout ce qui est « voilé » par rapport à ce qui est « dévoilé ». 
Nous sommes dans le registre de l’apocalyptique qui doit révéler avec le pardon ce qui était demeuré caché en conséquence du péché de l’homme.  
En conclusion nous dirons que le vocabulaire spécifique du Prologue pourrait s’entendre dans les harmoniques de la communication de la Torah par Moïse, tels qu’on les trouve chez Paul aux tout premiers temps de la rédaction des Evangiles. 
fermer
(RELECTURE 1)
L’Eglise de Jean à Éphèse vers 90 transforme la lecture sans que l'on puisse savoir si elle a touché à la première catéchèse écrite, mais il ne semble pas.
 

Relecture de l'Eglise chrétienne

(1,1)  Au commencement était le Logos le Christ préexistant et le Logos était tourné vers Dieu.
Le Christ en tant que parfait shaliah de Dieu selon (Ex 34,34). 
et Il était Dieu le Logos.
Tout en étant tourné vers Dieu comme Moïse, le Christ était Parole de Dieu à la différence de Moïse qui disait la Parole de Dieu mais n'était pas la Parole de Dieu. 
(1,2)  Celui-ci était au commencement tourné vers Dieu.
Comme Moïse dans la tente de la rencontre, le Christ était tourné vers Dieu, et ce, avant la création du monde, comme Torah préexistante à la création. Ou encore comme Christ, shaliah plus grand que Moïse et Elie. 
(1,3)  Tout survint par Lui.
Comme Torah préexistante au monde, le Christ préside à sa création. Et sans Lui rien ne survint. Pas de démiurge ni de matière préexistante.
(1,3c)  Ce qui survint
(1,4)  en lui était vie. 
Car le Christ plus encore que la Torah voilée par le péché (Dt 30,15) était la vie du monde. 
et la vie était la lumière des hommes.
Christ nouvel Élie et Torah dévoilée, lumière pour les nations, permettant la mission paulinienne et ecclésiale.
(1,5)  Et la lumière... Le Christ nouvel Élie nouvelle Torah dans la ténèbre luit et la ténèbre les autorités juives du Temple ne l'a pas retenue, comprise.
La lumière de Jésus a brillé dans la ténèbre (judaïsme) qui l’a rejetée.
(RELECTURE 1)
Ce qui était dit du Baptiste est attribué directement à Jésus. Ce dernier apparaît donc comme un simple précurseur du Verbe déjà incarné, alors qu'il n'est incarné qu'au v. 14a.
(1,6)  Survint un homme envoyé d'auprès de Dieu son nom était Jean.
Jean Baptiste est un "envoyé" du Père, donc il reste un prophète "shaliah/envoyé" titre de Moïse et Élie.  
(1,7)  Celui-ci vint pour un témoignage, afin qu'il témoigne de la lumière...
Le rôle du Baptiste n'est plus d'ouvrir l'apocalyptique et les livres scellés. Dans la relecture chrétienne il ne vient plus dévoiler la Torah mais annoncer Jésus lui-même comme lumière originelle de la création.
afin que tous croient par lui.
Le sens de la relecture est que tous vont croire Jésus par Jean Baptiste précurseur.
(1,8)  Celui-là n'était pas la lumière mais afin qu'il témoigne de la lumière. 
Jean Baptiste n'est pas la lumière et c'est le Christ qui est la vraie lumière.  
(1,9)  La lumière était la vraie qui illumine tout homme venant dans le monde.
C'est le Christ incarné qui est la vraie lumière permettant la mission aux juifs et païens du 1° siècle qui, à défaut de Torah, ont gardé la Sagesse.
(1,10)  Il Jésus historique était dans le monde, et le monde survint par lui, et le monde des ténèbres qui ont refusé le Christ ne le connut pas.
La croix est déjà connue comme refus des juifs. 
(1,11)  Il vint dans son domaine Israël et les siens ne l'accueillirent pas.
Condamnation des juifs au Golgotha.
(1,12)  Mais à tous ceux qui l'accueillirent, les chrétiens, même issus du paganisme, il leur a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom par la Torah de la foi et non des œuvres (Rm 4).
Ceux qui l’ont accepté (les chrétiens) sont devenus enfants de Dieu. 
(1,13)  Eux (Lui) qui, non par les sangs, ni par un vouloir de la chair, ni par un vouloir d'homme, mais de Dieu furent engendrés.
"Eux" désignerait les chrétiens devenus Fils de Dieu par grâce de Rédemption et "Lui" désignerait aussi Jésus d'origine virginale dans une troisième lecture christologique (J. Ratzinger, Enfance de Jésus, Flammarion 2012, p. 24). Dans ce cas, l'idéal de célibat qui caractérisait le mode de vie de Jean Baptiste a servi de précurseur à la naissance virginale de Jésus. Jean Baptiste est, à la manière des esséniens, précurseur de la naissance virginale de Jésus, comme la stérilité d’Elizabeth est précurseur de la naissance virginale de Jésus. 
(RELECTURE 1)
Enfin le Verbe s'incarne, mais dans la lecture chrétienne il est incarné depuis le début de la création puis depuis le témoignage de Jean Baptiste et enfin réellement sur la terre. Le Verbe a pris chez Jean sa dimension "mémoriale".
(1,14)  Et le Logos le Christ préexistant comme Sagesse du monde pour les païens et nouvel Adam devint chair, et il habita parmi nous et nous avons vu sa Gloire, Gloire comme Fils-unique d’auprès du Père, rempli de la grâce de la Vérité.
La Torah a été donnée par Moïse mais la grâce de la vérité a été révélée par l’unique engendré de Dieu qui dévoile Celui qu’on n’a jamais vu. 
(1,15)  Jean lui rend témoignage et il s'écrie : "C'était celui dont j'ai dit : celui qui vient après moi est au dessus de moi, car avant moi il était".
Lecture chrétienne.  
(1,16)  Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu : grâce pour grâce.
Lecture chrétienne. 
(1,17)  Car la Torah fut donnée par Moïse, la grâce de la vérité advint par Jésus Christ.
Lecture chrétienne.
(1,18)  Dieu personne ne l'a jamais vu, le Fils unique, Dieu, qui est vers le sein du Père, celui-là a décrypté.
Lecture chrétienne
(RELECTURE 2)
Contemporain de la rédaction de l’Évangile de Jean (fin premier siècle), Clément de Rome exprime la création par le Verbe pour les premiers chrétiens.


Clément de Rome

"Dieu a établi tout l'univers dans la concorde et dans la paix."

Regardons attentivement le Père et Créateur du monde entier, attachons-nous aux bienfaits magnifiques et insurpassables qu'il nous donne dans la paix. Contemplons-le par la pensée et considérons avec les yeux de l'âme la longue patience de ses desseins ; comprenons combien il agit sans aucune colère envers toute sa création.

Les cieux se déplacent sous sa direction et lui obéissent dans la paix. Le jour et la nuit accomplissent le parcours qu'il leur a fixé, sans se gêner réciproquement. Le soleil, la lune et les constellations gravitent selon son ordre, harmonieusement, sans jamais franchir les limites qu'il leur a données. La terre féconde, docile à sa volonté, fait naître en abondance, selon les saisons qui conviennent, la nourriture destinée aux hommes, aux animaux et à tous les vivants qui l'habitent. Elle ne conteste pas, elle ne change pas les règles qu'il a posées.

Les profondeurs des abîmes et les régions inexplorées sont régies par les mêmes lois. Le gouffre illimité de la mer a été organisé en bassins par son habileté créatrice et ne franchit pas les limites où il l'a enfermé mais obéit aux ordres qui lui sont prescrits. Car il a dit : "Tu viendras jusqu'ici, et te flots se briseront sans sortir de toi." Les océans que l'homme ne peut franchir et les mondes qui sont au-delà obéissent aux mêmes lois du Maître.

Les saisons du printemps, de l'été, de l'automne et de l'hiver se succèdent paisiblement. Les réceptacles des vents accomplissent leur rôle au moment voulu, sans broncher. Les sources intarissables, créées pour le plaisir et pour la santé des hommes, ne cessent de leur présenter leurs mamelles vivifiantes. Les plus petits des animaux se réunissent dans la concorde et la paix.

Le grand Créateur et Maître de l'univers a ordonné que tout cela se fasse dans la paix et la concorde, car il répand ses bienfaits sur tous, mais il les prodigue surabondamment pour nous, qui avons voulu nous confier en ses miséricordes par notre Seigneur Jésus Christ. 
A lui gloire et majesté pour les siècles des siècles. Amen

Liturgie des heures IV, page 223 : "Lettre aux Corinthiens 19,2 à 20,12"

Saint Léon à l'impératrice Pulchérie Jeudi 3° Sem. de l'avent

Le mystère de notre réconciliation Il ne sert à rien de dire que notre Seigneur, fils de la Vierge Marie, est un homme véritable et parfait, si l'on ne croit pas qu'il est un homme de cette descendance que proclame l'Évangile. Matthieu dit en effet : Livre des origines de Jésus Christ, fils de David, fils d'Abraham. Il suit donc l'ordre des naissances humaines, de façon à conduire la suite des générations jusqu'à Joseph, à qui la mère du Seigneur était promise en mariage. Luc, au contraire, en remontant les degrés de succession revient au chef de file du genre humain, pour montrer que le premier Adam et le nouvel Adam ont la même nature. Évidemment, la toute-puissance du Fils de Dieu aurait pu se manifester, pour l'instruction et la justification des hommes, de la même manière dont elle était apparue aux patriarches et aux prophètes : sous un aspect corporel ; ainsi lorsque cette toute-puissance engagea le combat avec Jacob, s'entretint avec Abraham et accepta son hospitalité ou même prit la nourriture qu'il lui offrait. Mais de telles apparitions n'étaient que des signes de cet homme dont ces préfigurations symboliques annonçaient la réalité, réalité qu'il devait endosser en devenant le descendant de tels ancêtres. Et c'est pourquoi aucune de ces figures ne pouvait accomplir le mystère de notre réconciliation, pourtant préparé de toute éternité. L'Esprit Saint n'était pas encore venu sur la Vierge, la puissance du Très-Haut ne l'avait pas encore prise sous son ombre. Il fallait cela pour que, dans ce sein immaculé où la Sagesse lui construisait une demeure, le Verbe se fit chair. Il le fallait pour que, la nature divine et la nature humaine se rencontrant dans une seule personne, le Créateur du temps naquit dans le temps ; pour que celui par qui tout a été fait fût engendré parmi toutes les créatures. Car si l'homme nouveau, semblable à la chair du péché, n'avait pas assumé notre condition ancienne et dégradée, si celui qui est consubstantiel au Père n'avait pas daigné devenir consubstantiel à sa mère, si lui, seul indemne de tout péché, ne s'était pas uni à notre nature, l'humanité tout entière serait restée prisonnière sous l'esclavage du démon et nous n'aurions pu profiter de la victoire remportée par le Christ, parce que cette victoire aurait été obtenue en dehors de notre nature. Le sacrement de notre régénération a brillé pour nous en vertu de cette participation étonnante à notre nature : si la conception et la naissance du Christ ont été opérées par l'Esprit, c'est en vertu du même Esprit que nous-mêmes pouvons renaître. C'est pourquoi l'Évangéliste désigne les croyants comme ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, ni d'une volonté charnelle, ni d'une volonté d'homme, mais qui sont nés de Dieu.

Certains commentateurs du Prologue de Jean ont souligné son appartenance à une théologie essentiellement grecque. 
Ce commentaire montre combien ce texte émane d'une pensée authentiquement juive, et comment il porte la reconnaissance de Jésus.   
Il peut donc avoir été écrit par un des disciples directs de Jésus.   

En bref, le Prologue de Jean

Jésus y apparaît préexistant à la création du monde tout comme la Torah, caché dans le sein du Père tout comme la Torah de lumière scellée dans le Ciel que le Père donne au monde...
 
Si dans la tradition chrétienne, on voit Jésus du début à la fin du Prologue, le commentaire permet de discerner un plan de salut  : 
1 - la Torah dans le ciel depuis la fondation du monde,
2 - la venue et le rôle de Jean Baptiste,
3 - les attentes apocalyptiques de l'époque,
4 - et enfin la venue de Jésus Verbe fait chair,
5 - son accueil et son refus, le salut qu'il apporte.   

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

En savoir plus
Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
Ressources théologiques et philosophiquesRessources théologiques et philosophiques