Verset(s) de la Bible Sg 2,23s

Ces versets du livre de la Sagesse expriment une vision particulière du monde, de l'homme et de l'origine du mal.

D'où vient ce texte ?
A quelle époque a-t-il été écrit ?
Comment était-il compris à l'époque de Jésus, comment l'est-il dans le judaïsme actuel ?
et dans le christianisme ?




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La mort est entrée dans le monde

(2,23)  "Oui Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature
(2,24)  C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde : ils en feront l’expérience ceux qui lui appartiennent !
(3,1)  Les âmes des justes sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra.
(3,2)  Aux yeux des insensés ils ont paru mourir, leur sortie de ce monde a passé pour un malheur
(3,3)  et leur départ d’auprès de nous pour un anéantissement. Mais ils sont dans la paix. 
(3,4)  S’ils ont aux yeux des hommes, connu le châtiment, leur espérance était pleine d’immortalité.
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration MEMOIRE 2  
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple MEMOIRE 3  
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV MEMOIRE 4  
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté ECRITURE 1  
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie RELECTURE 1  
En Syrie RELECTURE 2  
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient RELECTURE 3  
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
L'auteur écrit en période grecque, mais il a en mémoire les écrits bibliques qui portent le souvenir lointain du temps de l'immigration en Canaan, époque où Baal était le dieu vénéré.  .

Premier péché au temps de Baal

(2,24) C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde,
Allusion dans les mémoires à (Gn 3) où le serpent (emblème phallique) cause le premier péché de l'homme et de la femme.
Ce n'est pas encore un péché originel mais un péché cananéen (arbre de vie = culte de Baal). 
(MEMOIRE 2)
A l'époque de Josias, au VII° siècle av. JC,
L'arbre de vie remplacé par l'arbre de la connaissance.

Au VII° siècle, péché et Torah

(2,23)  « Oui Dieu a créé l’homme... 
(2,24)  C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde, 
A l'époque de Josias on ne parle pas encore du "diabolos/le diviseur" mais seulement du serpent. Mais ce péché ne concerne plus seulement les cultes de fécondité autour de l'arbre de Vie mais la désobéissance à la Torah autour de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Il peut être aussi un péché contre le roi (l'arbre au milieu du jardin symbolisant le roi). La mort est ici l'inanité de la vie quand elle n'est plus fidèle à la Torah. Ou encore la punition infligée par le roi.
(MEMOIRE 3) Après l'Exil à Babylone
(Gn 1) sacerdotal encadre (Gn 2-3).

Le péché et monothéisme d'Alliance

(2,23)  « Oui Dieu a créé l’homme, il en a fait une image de sa propre nature.
(2,24)  C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde,
Le monothéisme est découvert. Dieu crée l'homme à son "image/Tselem" comme prêtre de la procession du monde. Ce n'est qu'en (Gn 2-3) qu'arrive le péché causé par le serpent contre le commandement sur l'arbre de la connaissance. Ce n'est plus péché contre le roi (absent depuis la mort de Zorobabel). La punition n'est pas seulement le malaise de ne plus être dans la vie procurée par la Torah, car pour les prêtres, l'Alliance est inconditionnelle, elle recouvre tout ce que la vie de créature impose comme limites à l'homme : lutte contre le serpent, grossesses douloureuses,travail pénible, mort.  
Sous domination grecque en Egypte, Israël reconnaît la Torah comme préexistante, au même rang que la Sagesse.

Origine du mal au III° siècle av. JC

(2,23)  "Oui Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature.
(2,24)  C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde,(+1)
La Torah est maintenant considérée comme préexistante à la création du monde.
Le courant sacerdotal continue à penser que la Torah est inconditionnelle et que le péché est confié à la miséricorde divine lors des fêtes de Kippur (Lv 16). La victoire sur le mal arrivera à la fin des temps.
Mais le courant apocalyptique, issu de la foi en la résurrection telle qu'elle apparaît en (2 M 7), voit les choses autrement : lors de la création, Dieu a transfiguré l'homme de sorte qu'il était "doté d'incorruptibilité"
et d'immortalité. Incorruptible, sa liberté consistait à se laisser vivre l'amour offert. Immortel, il n'avait pas besoin de se reproduire. Le mal s'explique alors d'une autre manière : "Le diabolos/diviseur" était lui aussi une créature d'autant plus transfigurée qu'elle n'avait pas la limite matérielle de l'homme. Quand Dieu s'est mis à créer l'homme et à le transfigurer, lui aussi, le diabolos a pu en être jaloux de l'homme et se mettre à douter de l'amour de Dieu qu'il aurait voulu exclusif. Dieu a pu lui apparaître inconstant. Ce doute le diabolos l'a insufflé à l'homme qui s'est mis aussi à douter. L'amour étant brisé, Le Satan est laissé à sa limite de créature angélique et l'homme à sa limite de créature matérielle. Seule une nouvelle intervention de la miséricorde de Dieu pourrait guérir cette blessure que l'homme transmet à ses enfants puisque depuis qu'il est mortel : il a besoin de se reproduire pour donner un au-delà à sa vie. 
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(+1) En grec : ep’aphtharsia/doté d’incorruptibilité (Cf. 1,13 : « Dieu n’a pas fait la mort ») ; Après le péché, il reste à l’homme l’espérance de retrouver cette incorruptibilité que le Satan lui a fait perdre. La TOB entraînée par le v. 3,4 qui parle de l’espérance d’immortalité de ceux qui meurent après le péché, a traduit par une périphrase : « Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible », comme si l’homme n’avait que l’espérance de l’immortalité, sans que Dieu ait, par pure grâce, donné à son « image et ressemblance » de pouvoir en jouir tant que se maintiendrait son unité d’amour avec son Créateur. 
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(ECRITURE 1)
En contexte de persécutions grecques,
naissances de groupes apocalyptiques
. (+1)
(2,23)  "Oui Dieu a créé l’homme incorruptible, il en a fait une image de sa propre nature
(2,24)  C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde. Ils en feront l’expérience ceux qui lui appartiennent.
(3,1)  Les âmes des justes sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra.
(3,2)  Aux yeux des insensés ils ont paru mourir, leur sortie de ce monde a passé pour un malheur
(3,3)  et leur départ d’auprès de nous pour un anéantissement. Mais ils sont dans la paix.
(3,4)  S’ils ont, aux yeux des hommes, connu le châtiment, leur espérance était pleine d’immortalité. L'ensemble du texte montre tout à la fois qu'il est bien dans le courant apocalyptique et qu'il suppose la foi en la résurrection que les sadducéens ne partageaient pas de la même manière.
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(+1)
Petite analyse logique du texte de la Sagesse dans la traduction de la TOB  :

« Ils ne connaissent pas les secrets « dessins »(au sens α ou ω ?)de Dieu Ils n’espèrent pas de récompense pour la piété Ils n’apprécient pas l’honneur « réservé » (« fait » en α ou « réservé »  pour ω)aux âmes pures Or Dieu a créé l’homme (α)  « ep’aphtarsia »   

- doté d'incorruptibilité = incorruptible (α) (BJ et Grammaire Blass Debrunner §235) Eph' ω pantes èmarton.

- pour qu'il soit incorruptible (α ou ω) (TOB) 
et  il l’a fait (α) (c’est donc dans le passé) image de ce qu’il possède en propre.  Mais par la jalousie du diable la mort est entrée dans le monde (α) : ils la subissent(présent) ceux qui se rangent dans son parti  

Ils ont perdu l'incorruptibilité originelle (α)
- Ils en ont abandonné la perspective (ω)

La TOB joue magnifiquement de l’ambiguïté des termes français « dessins » et « réservé » qu’elle traduit dans une perspective d’eschatologie future, laquelle entraîne la traduction erronée : « pour qu’il soit  incorruptible »(eschatologie ω) au lieu de « doté d’incorruptibilité » (apocalyptique, irruption entre α  et ω).

- Tous ces termes peuvent s’accommoder d’une vision au futur sans aucune réalité dans le présent. Nous avons une vision claire dans le judaïsme officiel pour lequel le monde étant fait de bien et de mal ne sera incorruptible qu’à la fin du monde, aux jours du Messie collectif que viendront honorer les peuples à la colline de Sion. Ce pourrait être aussi une vision marxiste du « grand soir » sans l’athéisme qui l’accompagne.

- Mais les mêmes termes peuvent aussi s’accommoder d’une vision au passé (α originel). La TOB permet donc aussi la vision chrétienne d’un péché originel à partir d’une « incorruptibilité » dont l’homme serait « doté » (epi + datif) depuis l’origine conformément au « dessin/volonté concrète » de Dieu qu’il a « réservé » au sens de ce dont il a « pourvu » l’homme image de Dieu à l’origine, « doté d’incorruptibilité ». 

On pourra donc garder la traduction de la TOB en évitant les ambiguïtés par la prise en compte de la cohérence logique du texte, laquelle ne se maintient que si l’ensemble est lu dans la perspective de l’alpha, confirmée par l’apodose de la phrase qui est sans ambiguïté du registre de l’alpha : si l’homme a perdu ce qui lui était donné par l’arrivée de la mort, c’est qu’il en était épargné auparavant par un pur don de Dieu lors de la création. Ou pour le dire autrement : si l’homme n’avait pas été « doté d’incorruptibilité, il n’aurait pas pu la perdre.  Si, à l’instigation du Satan, Adam a perdu l’incorruptibilité par l’entrée de la mort dans le monde c’est qu’il en était d’abord doté.

On comprend alors le membre de phrase : « ils n’espèrent pas de récompense pour la piété ». Car si l’incorruptibilité a pu se perdre par la jalousie de Satan, elle peut de nouveau être attendue de Dieu par « les âmes pures », « en récompense de leur piété ». C’est l’espérance du courant apocalyptique qui écrit ce texte presque contemporain du Jésus historique.
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(RELECTURE 1)
Jésus authentifie les aspirations du courant apocalyptique.

Jésus et l'origine du mal

Jésus en se référant à l'origine du monde (il vient dévoiler les choses cachées avant la fondation du monde), en se heurtant à Satan, aux esprits impurs et démoniaques, en redonnant à l'homme son statut originel (Mt 19), se situe clairement dans le courant apocalyptique et plus précisément dans cette vision d'un monde bon où l'homme est créé par amour et dans un tel amour qu'il est transfiguré, immortel. Cette communion d'amour, l'homme ne l'a pas perdu de son seul fait, c'est le diable, le père du mensonge (Jn 8), qui est à l'origine de cette cassure originelle. 
(RELECTURE 2)
Irénée, Contre les hérésies, III° siècle après JC.
Bréviaire 1 p.509.

L'humanité incorruptible, Saint Irénée

Le Verbe de Dieu s'est fait homme, celui qui est fils de Dieu s'est fait fils de l'homme pour que l'homme devienne fils de Dieu, en communiant au Verbe de Dieu et en recevant l'adoption. Car nous ne pouvions pas recevoir incorruptibilité et immortalité sans être étroitement unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité. Mais comment être étroitement unis à l'incorruptibilité et à l'immortalité si auparavant l'incorruptibilité et l'immortalité ne se sont faites ce que nous sommes, pour qu'ainsi l'incorruptibilité absorbe ce qui était corruptible et l'immortalité ce qui était mortel, afin que nous recevions l'adoption des Fils.
Saint Grégoire de Naziance,
extrait de l'homélie 45 pour la Pâque. 
Père de l'Eglise d'Orient, Cappadoce (Turquie actuelle).

Saint Grégoire de Naziance

Quel trésor de bonté ! Quel grand mystère en ma faveur ! 
J'ai reçu l'image et je ne l'ai pas gardée. Le Verbe a participé à ma chair afin de sauver l'image et de rendre la chair immortelle ! Il s'unit à nous par une deuxième union, beaucoup plus étonnante que la première. 
Le livre de la Sagesse date des années 50 av JC, mais, comme le montre le commentaire, il porte la mémoire de toute une histoire de foi, à travers laquelle, l'origine du monde s'est peu à peu dévoilé pour Israël.
L'apocalypse de Jésus se situe dans cette vision du monde, en même temps qu'elle en est la clé.
Cette vision est celle de la foi chrétienne, qui la balbutie, car cette vision confesse avant tout que le monde, l'espace, le temps, le mal et le salut sont de l'ordre d'un mystère qui nous dépasse.

En bref, la mort est entrée dans le monde

Ces versets peuvent être difficiles à accueillir pour un esprit cartésien. Pourtant, en les remettant dans le contexte et l'expérience de foi, ils révèlent une vision du monde qui a peut-être beaucoup à dire aujourd'hui...
- la mort véritable n'est-elle pas la séparation d'avec la Source de Vie et d'Amour qu'est Dieu ? Cette mort n'est-elle pas le Mal par excellence ? 
- Peut-on penser que l'homme, s'il a sa part de responsabilité, soit l'unique responsable de ce Mal ? Cette incapacité à se laisser aimer et à aimer qui fait son malheur, ne vient-elle pas de plus loin que lui ?
- une foi et une espérance qui dépasse nos horizons et transfigurent nos limites : A Dieu, rien n'est impossible ! Son Amour peut s'abaisser pour relever ceux qui gisent dans les ténèbres et l'ombre de la mort... 
Est-ce un rêve ? Pourtant, ils en font l'expérience ceux qui mettent leur foi dans le Fils Bien Aimé du Père!

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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