Verset(s) de la Bible 1 R 18,17-46

Le sacrifice au mont Carmel par Elie face aux prophètes de Baal marque l'esprit du lecteur.
Et pour cause, tout est fait pour cela !
Le rédacteur avait donc l'intention de faire passer un message fort. 

Mais sommes-nous sûrs de bien comprendre ce message si nous ne le remettons pas dans son contexte ? dans son contexte de rédaction, mais également, dans le contexte des mémoires qui ont porté ce message ?

Une attention à l'un et à l'autre peut nous aider à percevoir le véritable enjeu de foi que porte le défi d'Elie au mont Carmel. 

Le sacrifice au mont Carmel

(18,17)  Dès qu'il vit Elie, Achab lui dit : "Te voilà, toi, le fléau d'Israël !"
(18,18)  Elie répondit : "Ce n'est pas moi qui suis le fléau d'Israël, mais c'est toi et ta famille, parce que vous avez abandonné Yahvé et que tu as suivi les Baals.
(18,19)  Maintenant, envoie rassembler tout Israël près de moi sur le mont Carmel, avec les 450 prophètes de Baal, qui mangent à la table de Jézabel."
(18,20)  Achab convoqua tout Israël et rassembla les prophètes sur le mont Carmel.
(18,21) Elie s'approcha de tout le peuple et dit : "Jusqu'à quand clocherez-vous des deux jarrets ? Si Yahvé est Dieu, suivez-le ; si c'est Baal, suivez-le." Et le peuple ne put rien lui répondre...

Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Voir le texte biblique complet dans 1 R 18

Voir aussi (Les fondements bibliques,, pages 214-215)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés ECRITURE 1  
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias RELECTURE 1  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple RELECTURE 2  
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre RELECTURE 3  
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
Le contexte est celui des luttes contre Baal, comme au temps de Gédéon appelé Yerubbaal (Jg 6,31s). Le rappel de Yerubbaal situe le niveau des mémoires à l’époque de l’assimilation/rejet avec peut-être déjà un premier feuillet d’écriture anti-baal (+1).

Le défi : que Baal fasse ses preuves !

(18,18)  « Elie répondit (à Achab roi d’Israël) : Ce n’est pas moi qui suis le fléau d’Israël mais c’est toi et ta famille parce que vous avez abandonné YHWH et que tu as suivi les Baals. Maintenant envoie rassembler tout Israël près de moi sur le mont Carmel avec les 450 prophètes de Baal qui mangent à la table de Jézabel. »  Yerubbaal, au temps de Gédéon avait lui aussi mis Baal au défi de se faire justice à lui-même. C'est un défi du même genre qui est ici mis en scène. Le texte introduit les prophètes de Jézabel, alors que les prophètes de YHWH sont persécutés et sont sauvés par Obadyahu qui les cache et les nourrit (1 R 18,1-16).
C’est la prière d’Elie à YHWH qui fait descendre le feu du ciel et embrase l’autel inondé. C’est donc bien YHWH qui est le vrai détenteur de la pluie et de l’orage et peut ainsi détrôner Baal.

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(ECRITURE 1)(RELECTURE 1)
Et pourtant ce n'est qu'au temps de Josias que l'on va rassembler à la cour de Jérusalem les premiers écrits anti-baal du Nord gardés jusque-là dans les sanctuaires tribaux ou déjà peut-être à la cour de Jéroboam II (-783 -743). Ce dernier avait réussi à rendre la paix à son peuple après la purge opérée
par Jéhu (2 R 9-10) contre les restes de baalisme hérités du mariage d'Achab avec Jézabel dans le Nord, et, dans le Sud, hérités du mariage du roi avec Athalie (2 R 14,23-29). Ces anciens textes du Nord vont devenir le trait d'union entre les réfugiés de Samarie détruite et le Royaume du Sud à Jérusalem.

Yisréel (YHWH) ou Samarie (BAAL) (clocher des deux jarrets)

(18,21)  « Elie s’approcha de tout le peuple et dit : Jusqu’à quand clocherez-vous des deux jarrets ? Si c’est YHWH qui est Dieu, suivez-le ; si c’est Baal, suivez-le. »  Le prophète Elie va mettre en scène au mont Carmel, frontière entre la Phénicie et Israël, le drame qui est en train de se jouer à la cour. A la cour de Samarie, le mariage d'Achab avec Jézabel a amené au palais les diplomates phéniciens et leurs cultes au Baal. En fin politique, Achab transporte dans une nouvelle capitale religieuse : Yisréel, le culte authentique à YHWH.  Il jouait ainsi habilement sur les deux tableaux d’une capitale politique avec ses idoles diplomatiques et d’une capitale religieuse Yisréel dédiée au culte de YHWH. Elie appelle cela clocher sur les deux pieds. Cette ambiguïté est dénoncée sur le mont Carmel, lieu tout aussi ambigu (à la frontière entre Israël et la Phénicie) par un défi fait aux prophètes de Baal.
Le défi s'enracine donc - comme Gédéon (Jg 6) - dans la période d’assimilation/rejet.

(RELECTURE 1)
Les allusions au Dieu qui parle dans le livre de l'Exode sont mises en évidence en creux par le silence de Baal malgré tous les rites déployés pour lui faire exercer ce qui devrait être son attribut majeur : faire tomber l'éclair et la foudre ainsi que le tonnerre sur l'autel. Les deux divinités sont ainsi mises en opposition par le rédacteur josianique.

Le silence de Baal et la voix de YHWH

(18,25)  « Elie dit alors aux prophètes de Baal : Choisissez-vous un taureau et commencez car vous êtes les plus nombreux. Invoquez le nom de votre Dieu, mais ne mettez pas le feu. Il doit s'authentifier lui-même par son attribut de la foudre et du feu. Ils prirent le taureau et le préparèrent et ils invoquèrent le nom de Baal depuis le matin jusqu'à midi en disant : Oh Baal, réponds-nous ! Il doit aussi s'authentifier par la voix du tonnerre. Mais il n’y eut ni voix ni réponse contrairement à YHWH qui, pour Josias, faisait entendre sa voix au Sinaï et ils dansaient en pliant le genou devant l’autel qu’ils avaient fait. » Israël a déjà conscience d'avoir avec YHWH, un Dieu qui parle par la mémoire des ancêtres, par les juges qui, comme Gédéon ou Déborah, rappellent cette mémoire, par les prophètes qui, comme Elisée, ont permis par le sacre d'Hazaël de venir à bout du baalisme avec Jéhu. Au dieu que l'on convoque par des rites magiques est opposé YHWH qui répond et va ainsi supplanter le silence du Baal.
(RELECTURE 1)
Les allusions à la voix et au temple rappellent la liturgie du Temple à l’époque de Josias.
(18,28)  « Quand midi l’heure de Baal) fut passé, ils se mirent à vaticiner jusqu'à l’heure de la présentation de l’offrande (heure du Temple) mais il n’y eut aucune voix (contrairement au Sinaï), ni réponse, ni signe d’attention. »
(RELECTURE 1)
Les allusions au livre de Josué ou à l’histoire légitimiste de David et Jacob situent une première relecture à l’époque de Josias.
On n'a pas encore la trilogie sacerdotale "Abraham, Isaac et Jacob", mais on a déjà tout un enchaînement de mémoires collectées par Josias et qui veulent rappeler les tout débuts de la vie des tribus.  En reprenant les mémoires essentielles du Nord et en plaçant le livre d'Elie au cœur du livre des Rois le rédacteur josianique œuvrait pour l'unité des tribus autour du Temple de Jérusalem.
(18,30)  « Il répara l’autel de YHWH qui avait été démoli. A la période grecque, après la persécution d'Antiochus Epiphane (-167), les juifs feront mémoire de cette reconstruction de l'autel par Elie pour reconstruire leur autel (1 M 4,44-46). Mais revenons à le relecture que fait Josias de la geste d'Elie. Elie prit douze pierres (rappel des douze pierres renvoie à Josué qui fait le même geste au passage du Jourdain, comme si les douze tribus y étaient déjà réellement rassemblées dans le culte, alors qu'elles ne le seront qu'après leur rassemblement dans le Temple de Josias (Jos 4,8s). selon le nombre des tribus des fils de Jacob à qui Dieu s’était adressé en disant : ton nom sera Israël, et il construisit un autel au nom de YHWH. » La mémoire du rédacteur remonte jusqu'à Jacob, ancêtre du Nord, qui bâtit un autel après sa vision à Bethel qui lui donne son nom d'Israël (Gn 35,15). 
(RELECTURE 2)
Des indices font penser à une relecture par les prêtres, après l'exil.

Relecture par les prêtres après l'Exil ?

(18,35)  « L’eau se répandit autour de l’autel et même le canal fut rempli d’eau (la sécheresse qui sévit alors fait apparaître cette abondance d’eau comme un autre thème apologétique : le feu prend même dans l’eau (Sg 16,17).
(18,36) A l’heure où l’on présente l’offrande (liturgie du Temple), Elie le prophète Qu’il faille de nouveau présenter Elie est un indice de relecture. s’approcha et dit : YHWH Dieu d’Abraham d’Isaac et d’Israël, le rappel des trois patriarches
ensemble est caractéristique des prêtres après l’Exil qui repensent les généalogies des familles et des peuples dans la perspective du monothéisme. qu’on sache aujourd'hui que tu es Dieu en Israël, que je suis ton serviteur et que c’est par ton ordre que j’ai accompli toutes ces choses.
(18,37) Réponds-moi, YHWH, réponds-moi, pour que tout ce peuple sache que c'est toi YHWH qui es Dieu et qui convertis leur cœur.
(18,38) Et le feu de YHWH tomba et dévora l'holocauste et le bois, et il absorba l'eau qui était dans le canal.
(18,39) Tout le peuple fut saisi de crainte : les gens tombèrent la face contre terre et dirent : c'est YHWH qui est Dieu, c'est YHWH qui est Dieu.
Cette histoire d’Elie (1 R 18) est racontée pour servir de soutien aux réformes d’Ezéchias (-701) et de Josias (-620) et intégrer ainsi les sanctuaires du Nord dans la foi de Jérusalem. 

La victoire du prophète

(18,40) Elie leur dit : Saisissez les prophètes de Baal, que pas un d'eux ne s'échappe ! Et on les saisit. Elie les fit descendre dans le ravin du Qishon où il les égorgea. C’est donc bien YHWH qui est le vrai détenteur de la pluie et de l’orage et peut ainsi détrôner Baal. On est dans le cadre de l'assimilation/rejet et de la guerre sainte où il faut éradiquer tout ce qui appartient aux dieux du mal. (+1)

(18,41) Élie dit à Achab : "Monte, mange et bois, car j'entends le grondement de la pluie." C'est bien YHWH et non plus Baal qui rend la pluie comme c'était la parole du prophète qui l'avait retirée au début du récit.

(18,42)  Pendant qu'Achab montait pour manger et boire, Élie monta vers le sommet du Carmel, il se courba vers la terre et mit son visage entre ses genoux.
(18,43)  Il dit à son serviteur : "Monte donc, et regarde du côté de la mer." Il monta, regarda et dit : "Il n'y a rien du tout." Élie reprit : "Retourne sept fois."
(18,44)  A la septième fois, le serviteur dit : "Voici un nuage, petit comme une main d'homme, qui monte de la mer." Alors Élie dit : "Monte dire à Achab : Attelle et descends, pour que la pluie ne t'arrête pas."
(18,45)  Sur le coup, le ciel s'obscurcit de nuages et de tempête et il y eut une grosse pluie. Achab monta en char et partit pour Yizréel. 
(18,46) La main de Yahvé fut sur Élie, il ceignit ses reins et courut devant Achab jusqu'à l'arrivée à Yizréel.
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(+1)
On revient au récit, sans sa relecture monothéiste qui rendrait cette finale odieuse puisque le seul Dieu créateur est un créateur par amour. On est bien avant le monothéisme, où le mal vient des dieux mauvais vénérés par les ennemis.
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(RELECTURE 3)
Lors de la période grecque, vers 200 av. JC, la figure d'Elie est reprise dans le Siracide. Nous sommes en contexte monothéiste, marqué par des attentes messianiques et autres. 

la figure d'Elie à l'époque du Siracide au 3°s. av. JC

(Si 48,1) Alors le prophète Elie se leva comme un feu, sa parole brûlait comme une torche.
(Si 48,2) C'est lui qui fit venir sur eux la famine et qui, dans son zèle, les décima.
(Si 48,3) Par la Parole du Seigneur il ferma le ciel et fit aussi trois fois descendre le feu.
(Si 48,4) Comme tu étais glorieux, Elie, dans tes prodiges...
(Si 48,10) Toi qui fus désigné... pour ramener le cœur des pères vers les fils (Ml 3,24).
Elie devient une figure d'espérance pour les émigrés d'Egypte. Le Baal est oublié, on retient de lui la parole de feu, les miracles et l'annonce de son retour.
Ce texte, écrit pour l'essentiel au temps de Josias, s'appuie cependant sur des mémoires anciennes et peut-être même sur quelques écrits du Nord antérieurs à la chute de Samarie (-721).
C'était le temps où il fallait apprendre à se démarquer des cultes à Baal. Des prophètes aidaient à cela.

En bref, le sacrifice au mont Carmel

Ce texte est un récit composé mettant en scène un véritable défi entre le parti de Baal et le parti de YHWH.
Le défi est dramatisé à l'excès : Elie est seul contre tous ! YHWH remporte une victoire tonitruante sur Baal et les prophètes de Baal sont tous exterminés. Le message est clair : Si on est fidèle à YHWH, même faible, on est récompensé, car il est plus fort que Baal. C'est donc YHWH qu'il faut choisir ! Plus aucun compromis avec Baal ! C'est le message de la réforme de Josias : monolâtrie stricte en faveur de YHWH !
Derrière ce récit au message clair, une expérience plus ancienne d'assimilation/rejet est perceptible : peu à peu le peuple a été amené à reconnaître - grâce à des prophètes comme Elisée, Elie - que YHWH est tout aussi bien capable que Baal de donner la pluie ou de faire descendre le feu du ciel... YHWH, en prenant ces attributs, semble devenir un nouveau Baal. Mais peut-on s'adresser à YHWH comme on s'adresse à Baal ? Le chapitre suivant (1 R 19) apportera la réponse et l'antidote : YHWH reste avant tout le Dieu du désert, le dieu qui a pris soin de son peuple, au jour le jour, tout au long de ses pérégrinations...

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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