Verset(s) de la Bible Mt 6,9-13

Nous connaissons le "Notre Père" dans sa version liturgique. Elle ne correspond ni au Notre Père que l'on trouve en Mt 6, ni à celui que l'on trouve en Lc 11. Dès lors on peut se poser la question : 
Quelle est cette prière que Jésus a donnée à ses disciples ?
Etait-ce la prière que Jésus adressait à son Père, ou bien celle que Jésus demandait à ses disciples de dire ?
Et puis, quel est le sens de ces demandes ?
Une prière juive, très semblable, n'existe-t-elle pas ?  

Notre Père

(6,9) "Vous donc, priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux, que ton Nom soit sanctifié,
(6,10) que ton Règne vienne, que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
(6,11) Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien.
(6,12) Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs.
(6,13) Et ne nous soumets pas à la tentation ; mais délivre-nous du Mauvais.

Bible de Jérusalem (Ed. 1975) 


Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance MEMOIRE 1  
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde MEMOIRE 2  
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes ECRITURE 1  
En Samarie    
En Syrie RELECTURE 1  
A Rome    
A Ephèse RELECTURE 2  
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques RELECTURE 3  
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
L'appellation de Dieu comme Père est très ancienne.
(MEMOIRE 2)
Le Notre Père de Mt a une version parallèle en Lc et doit dont être tiré de la "Quelle" et faire partie de la catéchèse ancienne. Il a de nombreuses réminiscences de mémoires juives anciennes.
(ECRITURE 1) 
Une première écriture a pu se faire au niveau de la "Quelle".
(RELECTURE 1)
Finalement son Évangile est écrit en Syrie où cette catéchèse peut encore être comprise dans sa teneur juive. (+1)

Prière des judéo-chrétiens pour correspondre à l'avènement du Royaume

(6,9) "Vous donc, priez ainsi :  
Il n'est pas dit que c'est la prière de Jésus mais celle qu'il nous recommande de faire. Les choses que nous devons demander dans la prière au Père ne sont pas forcément celles que lui-même demande. Ces demandes peuvent correspondre à des choses qu'il apporte. La prière qu'il nous demande de faire peut être simplement pour que nous correspondions au don qui nous est fait.
Notre Père (Gr. patèr èmôn/Hb. avinu)
C'est un des titres les plus anciens donnés à Dieu dans la tradition biblique. Le Dieu des tribus était un dieu du Père de la tribu. Le glissement de cette appellation "dieu du père" sur Dieu lui-même (1 Ch 29,10) peut correspondre au moment où l'Alliance de vainqueur à vaincu est devenu Alliance entre Dieu et son peuple. L'attribution à Dieu d'un rapport d'abord sociologique (de vainqueur à vaincu ou de tribu à Père de la tribu) est un peu du même ordre et a pu se faire dès le rassemblement des tribus autour du Temple de Jérusalem sous Josias ou un peu avant. On trouve ce titre "avinu / notre Père" affirmé vigoureusement dès la découverte du monothéisme après l'Exil (deux fois dans Is 63,16 en lien avec l'appellation de Dieu comme Go'el / rédempteur et en Is 64,7 en lien avec le Créateur). 
Le Go'el est le plus proche parent et à ce titre il peut assurer la défense de son parent. Ce peut être l'oncle comme souvent dans les tribus archaïques, mais ce peut être aussi le Père.
Qui es dans les cieux, Juste après "abba" qui est un terme très proche, il y a le rétablissement de la distance. Dieu ne s'atteint chez les mystiques que par juxtaposition de contrastes. On parle en "blanc" et "noir" et jamais en gris. "Père" et "cieux" apparaissent ici comme "blanc" et "noir" insaisissable dans son mystère, comme le dit la suite : "que ton nom soit sanctifié" : le nom c'est l’Être et cet Être doit rester "saint/séparé". Ceci le distingue du père de la terre.
Que ton Nom soit sanctifié, 
Le Nom de Dieu est "qadosh"/Saint, c'est-à-dire "séparé/sans lien avec les dieux païens ou encore transcendant". La sainteté est inhérente à la nature de Dieu et l'homme ne peut rien y changer (on ne prie donc pas pour changer ce qu'est Dieu). Par contre, il peut ajuster sa vie à cette séparation d'avec les autres dieux en évitant tout contact avec les cultes païens ou ce qui s'en est approché. La sanctification du Nom divin chez un homme juste ou pieux trouve sa plus belle expression dans son martyre ou sa mort pour la Gloire de Dieu. (+1)
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(+1) PHILONENKO Marc : Le Notre Père : de la prière de Jésus à la prière des disciples.
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(6,10) que ton "Royaume" ou "règne/è basileia sou" advienne, 
En hébreu il y a deux mots distincts : mamlekhet/Royauté (Ex. : Ex 19,6) et malkhout/Royaume là où le grec n'en a qu'un (+1). On traduit souvent : que ton Règne vienne. Que nous le voulions ou non, Dieu règne dans le ciel et sur la terre. Pour que ce règne ou royauté soit manifeste, il y manque l'assentiment ou l'obéissance des sujets dans un lieu institutionnel : un royaume. C'est lui que Jésus a mis à notre portée, a approché de nous (Mc 1,15 : èggiken).
Si ce règne - même s'il n'est qu'inchoatif sur terre - se manifeste, il n'est plus une qualité interne au Dieu que l'on prie mais prend une consistance institutionnelle, "incarnée" (+2), petite certes, mais concrète. 
Il est clair que ce "Règne concret" appelé "Royaume de Dieu" n'est pas encore reconnu par tous et c'est pour qu'il le soit que l'on prie. Dans le judaïsme, Dieu règne sur son peuple. 
Le passage au règne en chacun des disciples résulte de l'acquiescement en eux de ce qu'ils ont vu pleinement réalisé en Jésus.
Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au ciel. 
Ce règne sur terre est d'autant plus réel que l'on prie pour que la volonté du Père y soit manifestée de manière aussi effective qu'elle l'est certainement dans le ciel. Jésus ne pouvait pas douter que la volonté du Père fût réalisée par lui (c'est ce qu'il dit aux émissaires de Jean Baptiste en Mt 11,4-6 : les boiteux marchent, les aveugles voient etc... heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de chute, un "scandale" une pierre sur laquelle on bute, une "épreuve"). 
Mais il y manque encore l'acquiescement par des sujets de ce Règne effectif de Jésus. C'est pour cela qu'il nous demande, à nous, d'en faire "notre" prière. Ce n'est pas sa prière mais la nôtre. (+3)
(+4)
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(+1)
En hébreu il y a : mamlekhet/autorité royale (Ex. : Ex 19,6 = autorité de prêtres) et malkhout/Royaume ou durée du règne dans un royaume concret. En Dn 9,1 Darius roi du royaume (malkhout) des chaldéens Dn 10,13 ; 11,2 ; 11,20s etc. Le mot "malkhout" s'applique à ces deux dimensions du royaume : sa durée et son territoire. Jr 49,34 "Au début du temps (malkhout) de Sédécias roi de Juda" précise la place dans l'étendue temporelle du Royaume. En Esd 4,5.6 jusqu'au temps (malkhout) de Darius roi de Perse. On n'est plus dans une qualité interne à l'autorité mais dans une réalité institutionnelle (royaume), dans sa consistance spaciale et temporelle. Ps 145,13 "ton royaume (malkhout) est royaume (malkhout) sur tous les mondes ('olamim); ton règne (mamlekhet) de génération en génération (dor wador)". Est 1,7 "et le vin du Royaume (malkhout) fort comme la main du roi". Est 3,6 "Dans tout le royaume (malkhout) de Xerxès" etc. Il faut à chaque fois vérifier les traductions à partir du texte hébreu.
(+2)

En 1 M 1,16, quand Antiochus jugea son Royaume affermi (LXX basileia) , il entreprit de devenir roi d'Egypte afin de régner sur les deux royaumes (LXX basileias). 
(+3)
Cette seconde partie du v. 10 manque dans le texte correspondant de Lc en 11,2. L'ensemble de la prière est dans la source Q commune à Mt et Lc et absente de Mc. Cette différence de perspective dans la reprise de la source ancienne sera expliquée en (Lc 11,2).
(+4)
PHILONENKO Marc : Le Notre Père : de la prière de Jésus à la prière des disciples.
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(6,11) Donne-nous aujourd'hui notre pain "epi-ousion". 
On ne peut guère traduire "donne-nous aujourd'hui le pain d'aujourd'hui", sans passer à côté de la construction en grec qui dit : 
"Notre pain "épiousion", donne-le-nous semeron/aujourd'hui". 
L'opposition est entre "épi-ousion/sur-étant et sèmeron/aujourd'hui". 
La question porte donc sur "épi-ousion". Lc a remplacé le pain "épi-ousion" par le pain "to kat'èmeran/le selon le jour" ce qui peut se traduire "quotidien" comme l'était la manne dans le désert. En Mt le mot signifie "au-delà" ou "au-dessus du jour/lendemain" ou simplement "au-dessus".
Si on se réfère à une construction araméenne remontant de Matthieu à Jésus (+1), il faut traduire : "donne-nous aujourd'hui le pain du lendemain" c'est-à-dire : le pain ou la manne attendue pour le retour de Dieu (Ex 16,33 ; Jos 5,12). Ce serait tout à fait dans le ton de : que ton règne vienne, et comme sa suite logique, puisque la nouvelle manne était attendue lors du retour de Dieu. Ce fut vraisemblablement le premier sens de la formule.
Mais par la passion de Jésus ce pain est devenu le "corps du Christ" remonté au ciel et donc devenu pour le croyant "pain d'au-delà", non plus seulement le pain du "lendemain" mais le pain sur-naturel" ou encore, comme on le disait en latin : le "panem super-substantialem". Et comme les chrétiens pouvaient le recevoir chaque jour il devint le pain ou la nouvelle manne "quotidienne" et on arrive à la correction de Luc pour son Église "pain quotidien".  (+2)
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(+1)
On connaît par les Pères de l'Eglise qui la citent encore une version araméenne primitive de l'Evangile de Matthieu.
(+2)
PHILONENKO Marc : Le Notre Père : de la prière de Jésus à la prière des disciples.
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(6,12) Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs. 
La remise des dettes était la caractéristique principale de l'année jubilaire. A tel point qu'il a fallu faire une législation particulière pour faire en sorte que, à la veille des années jubilaires, on accepte encore de faire un prêt à quiconque (+1)
Si donc dans la mouvance de Jésus on remet les dettes, c'est que l'on est persuadé qu'avec lui l'année du grand Jubilé, c'est-à-dire de la venue de Dieu (Ml 3,23), est arrivée. Jésus en fait mention en Mt 5,42 ("À qui veut t'emprunter ne tourne pas le dos"). 
La prière devient donc celle-ci : puisque nous avons remis nos dettes à nos débiteurs, hâte-toi de confirmer l'année sabbatique ou le grand Sabbat que la venue de ton Fils est venu instituer. On est dans la même ligne que les demandes précédentes. L'avènement de Jésus correspond en effet au grand Sabbat attendu de la venue du prophète Elie dans la finale de Malachie (Ml 3,23). 
Encore une fois ce n'est pas la prière de Jésus mais celle des disciples. Ils prient Dieu de faire en sorte qu'ils correspondent au don qu'il pressentent en train de se réaliser.
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(+1)
Cette législation particulière consistait à demander au bet din (cour de justice) du temple de se porter garant du remboursement de la dette. Ainsi le prêteur était libéré d'avoir à obéir au commandement de la remise de dette en année sabbatique ou jubilaire (Dt 15,9). 
Le prêteur était garanti par le temple. Ensuite le débiteur s'arrangeait avec le temple. (Jésus dénoncera ces pratiques de Qorban). On pourra consulter le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Cerf, art.Prosbol (p. 921) et chabbat hagadol (p. 206)
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(6,13) Et ne nous mets pas à l'épreuve (peirasmos
Le mot grec peirasmos/épreuve est généralement traduit en français par "tentation". "Ne nous soumets pas à la tentation", "ne nous laisse pas entrer en tentation". Peu importe le verbe (soumettre, faire entrer etc...) c'est le mot "tentation" qui ne va pas. Cela vient d'un contresens à partir du latin de la Vulgate "et ne nos inducas in tentationem". St Jérôme, en bon hébraïsant, a très justement traduit "peirasmos" par "tentatio". C'est la traduction du latin en français qui cloche : le mot "tentatio" en latin est un "faux ami" qui ne signifie pas "tentation" en français, mais "épreuve". L'hébreu, dans la rétroversion du grec par Delitzsch, a pour le mot grec peirasmos le mot : Nissayon/épreuve (+1)
Dans l'Ancien Testament, Dieu met Abraham à l'épreuve, c'est-à-dire qu'il éprouve sa foi après le don qu'il lui fait d'Isaac (Gn 22,1). De même, Dieu "éprouve" la foi d'Israël après lui avoir donné les premiers commandements à Mara (Ex 15,25) ; après lui avoir donné la "manne" (Ex 16,4). (+2)
Ainsi, Dieu peut-il encore mettre
la foi de son peuple à l'épreuve quand il lui donne Jésus. Et Jésus peut, comme Moïse mettre le Satan en garde contre le fait de vouloir mettre Dieu à l'épreuve à son propos et le tester. Il reprend alors à son compte la mise en garde de Moïse : "tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu" (Dt 6,16). On le voit bien ici, ce qui peut faire obstacle à cette foi en Jésus, c'est évidemment le Satan. Sa jalousie, comme au temps du péché d'Adam, peut se réveiller lors de la venue de Jésus, à la vue des miracles qu'il fait (+3)
La prière à Dieu est donc celle-ci : Fais venir ton règne en Jésus (début du Notre Père), cependant ne mets pas notre foi à l'épreuve mais délivre nous du Satan. L'Evangile de Marc qui n'a pas le Notre Père ne cesse de montrer cette épreuve quand, après chaque miracle de Jésus, il demande aux disciples de se taire pour ne pas réveiller la jalousie du Satan que, dès le premier miracle qu'il fait, il ne cesse d'exorciser  (Mc 1,23-27).
Il faudrait donc traduire : ne nous mets pas à l'épreuve mais délivre nous du Satan. Alors d'où nous vient la traduction : "ne nous soumets pas à la tentation" au lieu de "Ne nous mets pas à l'épreuve"? C'est que, ignorant le contexte juif de la problématique, on est tombé dans le piège des "faux amis" : "tentatio" en latin ne signifie jamais "tentation" mais "épreuve"(+2). De même en grec "peirasmos" signifie "épreuve" et très secondairement "tentation au sens de tentative et non de tentation".  
Mais délivre-nous "apo tou ponerou/du Mauvais ou mal".(+3) 
En grec le génitif "ponerou" peut être un masculin = le mauvais, ou un neutre = le mal. Dans le cadre de ce qui est dit plus haut de l'épreuve que l'on demande à Dieu de nous éviter, il va de soi que c'est le "Satan" que l'on doit éviter, comme Jésus lui-même ne cesse de le faireL'Evangile de Marc, comme Mt et Lc placent cette lutte au début de l'Evangile, dans l'épisode où Jésus est emmené au désert (Mt 4,1-11 ; Lc 4,1-13 ; Mc 1,12s)Dans ce récit, Jésus se trouve affronté au Satan sur trois registres : les pierres et le pain, le saut du haut du temple, l'adoration en haut de la montagne. Ces épreuves viennent bien du partenaire satanique. Ce sont les épreuves de Jésus dans tout l'Evangile, et Jésus nous demande de prier le Père de nous délivrer du Satan dans cette épreuve de la foi que représente sa venue. Dans la version originale du Notre Père, délivre nous "apo tou ponerou" doit donc bien se traduire par "Délivre nous du Mauvais" comme le font les orthodoxes de langue grecque dans leur traduction du Notre Père.
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(+1)
C'est très clair chez St Augustin : l'épreuve des barbares ainsi que toutes les tribulations qu'Augustin traverse et qu'il appelle "tentationes" peuvent toujours se traduire par "épreuves". Ce ne sont pas des "tentations". De même dans tous les cas où "peirasmos" dans la LXX traduit "nissaion" ou "massah" (même racine) c'est toujours au sens d'épreuve y compris quand c'est Dieu qui est mis à l'épreuve pour voir s'il est présent (Ex 17,7 ; 4,34 ; 6,16 ; 7,19 ; Ps 94(95). C'est encore ce sens qui est employé en Mt 4,7 et Lc 4,12 qui cite Dt 6,16 (tu ne mettras pas ton Dieu à l'épreuve et non pas "tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu" qui résulterait du même contre-sens).  
(+2)
Israël peut aussi vouloir mettre Dieu à l'épreuve et le tester. Moïse s'oppose à cette manière de mettre Dieu à l'épreuve et de le tester (Ex 17,2 ; Dt 6,16).
(+3) S
.Mowinckel "He that Cometh", GW Anderson 1951, montre que dans le Judaïsme ancien le Messie devait rester ignoré pour ne pas réveiller la jalousie du Satan. On le trouve aussi dans Jn 7,27 : "Nous savons pourtant d'où il est tandis que le Messie, quand il viendra, personne ne saura d'où il est".
(+4) PHILONENKO Marc : Le Notre Père : de la prière de Jésus à la prière des disciples, Gallimard Paris, 2001.
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La relecture de Lc en contexte pagano-chrétien

Lc (11,1) Et il advint, comme il était quelque part à prier, quand il eut cessé, un de ses disciples lui dit : "Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples."
(11,2) Il leur dit : "Lorsque vous priez, dites : Père, que ton Nom soit sanctifié ; que ton règne vienne ; 
Jean le Baptiste prêchait, chez Matthieu (Mt 3,1-12), un baptême de conversion à une "engeance de vipères" cherchant à "se soustraire à la colère qui vient". Son baptême préparait à la venue du Messie dans le cadre d'une fin du monde annoncée : "la hache est à la racine de l'arbre ; tout arbre qui ne produit pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu". Celui qui vient (à la fin des temps) tient la pelle à vanner et va nettoyer son aire" "Il recueillera son blé dans le grenier et la paille au feu éternel" (Mt 3,1-12). Telle était le baptême - et donc la prière - de Jean Baptiste. Jésus a une tout autre prédication. Sa prédication est de type apocalyptique mais non pas une apocalyptique de fin des temps comme celle de Jean Baptiste mais une apocalyptique telle qu'elle est maintenant connue par les écrits de Qumran, et qui attendait une venue de Dieu par une irruption dans le temps présent. Cette irruption était, en elle-même, un pardon pour le péché qui avait causé la rupture de la communion d'amour dans laquelle l'homme avait été créé. Le  "Notre Père/avinu/pater èmôn" de Matthieu correspond tout à fait à cette attente. Luc s'adresse à des pagano-chrétiens qui ignorent ces subtilités apocalyptiques mais sont, comme les disciples du Baptiste, dans l'attente d'un retour du Christ à la fin des temps. C'est ce retour à la fin des temps que l'on prie le Père d'accomplir : "Père/pater" sans le "notre" de forme hébraïque chez Mt peut être inspiré par le "Abba pater" plus "intime" de St Paul (Rm 8,15 ; Ga 4,6). On retrouve cette forme paulinienne chez Mc 14,36. Chez Lc on trouve seulement "pater" mais il n'est pas interdit de supposer que le "abba/papa ?" est sous-entendu, comme le pense J. Jeremias. "Que ton nom soit sanctifié" doit alors viser autant la séparation d'avec les païens que la sanctification du Nom par le martyr. Et "Que le règne vienne" devait aspirer au retour de Fils de l'homme à la fin des temps tout autant que la prière pour que la terre puisse dès à présent être le lieu de la présence de ce Règne céleste. 

(11,3) Notre pain "epiousion" donne-nous chaque jour ; 
En remplaçant le terme "aujourd'hui" par "chaque jour", Lc ne permet plus de comprendre "épiousion" comme pain "du surlendemain", mais ce peut encore être "le pain d'au-delà". Ce qui est demandé à Dieu, c'est le pain de chaque jour, nourriture quotidienne (la suite du Notre Père prône cette confiance en la providence) ou le pain eucharistique si on accepte que l'Eucharistie se prenant au cours des repas, pouvait être quotidienne. On voit que la perspective a changé. On ne prie plus pour l'irruption du Royaume dans le temps présent, mais pour sa réalisation à la fin des temps comme chez le Baptiste.

(11,4) et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit ; 
Il n'y a plus allusion au grand Shabbat ni à la remise des dettes qui le caractérisait. On est passé à une morale de l'Eglise dans laquelle le pardon se fait à l'imitation du pardon reçu par le Christ du haut de la croix, que Lc est seul à mentionner (Lc 23,34) Alors que dans la perspective matthéenne, le pardon est apporté dans l'irruption même du Royaume qui signifie que Dieu a pardonné dans le grand Shabbat jubilaire.

et ne nous soumets pas à l'épreuve (de la foi) mais délivre nous du mauvais. (Ne nous mets pas à l'épreuve de la foi sans nous délivrer du mauvais).
On retrouve le contre-sens signalé ci-dessus. Il faudrait restituer le sens premier de nissaïon/peirasmos/tentatio qui est toujours celui d'une épreuve. Les épreuves dans l'Eglise de Luc ont aussi changé de sens. Ce sont maintenant les persécutions venues des païens et de Rome. Elles inaugurent le retour du Fils de l'homme à la fin des temps. Elles ne sont plus directement liées à la mise à l'épreuve dans la confrontation à Satan, puisque le Satan a été vaincu sur la croix par le pardon de Jésus. Et Lc peut en conséquence éliminer le dernier membre de phrase "et délivre nous du mauvais ou du mal" pour rebondir en final sur la confiance en la providence qui donne le pain quotidien. Ce sera la suite du Notre Père chez Luc.
(RELECTURE 3)
à compléter

Le Notre Père selon les Pères de l'Eglise

A compléter
La prière que Jésus donne à ses disciples a un sens particulier, même s'il existe dans le judaïsme des versions très proches de celles que l'on trouve en Mt 6 et en Lc 11. 

Le sens de cette prière a pu évolué, même au cours de la vie de Jésus. D'autre part, on peut l'entendre de diverses manières selon que l'on attende un règne - royaume - concret de Dieu sur la terre, ou non. 
Cette prière Jésus l'a enseigné à ses disciples et ses disciples l'ont transmises. 
Peu à peu des versions liturgiques se sont fixées. 
Les traductions vernaculaires ont parfois infléchi le sens premier de la prière de Jésus. (+1).

En bref, le "Notre Père"

On ne peut entrer dans le sens de la prière que Jésus enseigne à ses disciples si on ne connaît pas le judaïsme apocalyptique
Dans ce courant théologique et spirituel, on attend que Dieu vienne établir son royaume sur la terre. Or, les textes des évangiles montrent que c'est cela précisément que Jésus vient apporter : le royaume de Dieu sur la terre, "comme au ciel". Ce royaume est la manifestation de la miséricorde du Père à l'égard de toutes les brebis perdues d'Israël. Les guérisons, les miracles, les gestes et toute l'attitude de Jésus en sont le signe. Cette miséricorde qui dépasse toute mesure est à vivre par le disciple. En même temps, la prière de Jésus montre que la venue de ce royaume provoque un combat contre le Malin. 
Différentes traductions liturgiques (grecque, syriaque, latine...) reprendront la prière de Jésus qui prendra un sens un peu différent après la mort de Jésus : la victoire est donnée totalement à travers la Croix. Mais le combat demeure pour les chrétiens. 
La traduction catholique en français du Notre Père pose des difficultés : par exemple, le terme "mal" s'est substitué au terme "Malin" ou "Mauvais" qui désigne le diable, Satan (la liturgie orthodoxe et orientale a gardé ce terme). Le terme "tentation" traduit le terme grec "peirasmos" qui ne signifie pas "tentation", mais "épreuve". 
Faut-il chercher une meilleure formule à "ne nous soumets pas à la tentation" ? 
L'important est sans doute d'entrer dans le sens profond du Notre Père qui ne s'éclaire vraiment qu'à la lumière de la vie de Jésus, ce qu'il a apporté et comment il a été reçu. C'est cela qui - au-delà des mots et des traductions toujours approximatifs - met en communion avec Jésus lui-même ; nous pourrons alors dire "Père" en fils adoptifs (Rm 8 ; Ga 4), en frères et sœurs de Jésus.  
en savoir plus
(+1) PHILONENKO Marc : Le Notre Père : de la prière de Jésus à la prière des disciples.
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
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