Verset(s) de la Bible Mt 5,43-48

Ces versets (5,43-48) se poursuivent en (7,12) ; nous sommes dans ce qu'on appelle "le sermon sur la montagne". (+1)
Cet enseignement touche le cœur du judaïsme, car il concerne la pratique - "halakhah" - et le judaïsme est avant tout une pratique.
Mais qu'entendre exactement par "aimez vos ennemis" ; comment ce précepte a-t-il pu être entendu par les juifs de l'époque ? D'où vient que Jésus ait donné un enseignement aussi impossible à vivre ? Accomplit-il vraiment la Torah, comme c'est affirmé au début du chapitre, ou bien la renverse-t-il ? Cela pose la question de son autorité...
Et comment le Dieu qui, au 3° "Seuil" de la foi, dit "aimez vos ennemis", a-t-il pu au 1° "Seuil" demander qu'on les massacre ?

(+1)
Entre les versets (5,43-48) et (7,12), Matthieu a inséré l'enseignement sur le "Notre Père". L'ensemble, dans son unité originelle, se trouve en (Lc 6,27-35). Le "Notre Père" en Lc 11.
 
Voir les commentaires dans le tableau ci-dessous.

 

Aimez vos ennemis

(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
(5,44)   Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs,
(5,45)  afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
(5,46)  Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils pas autant ?
(5,47)   Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ?
(5,48)   Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Voir aussi Fondements bibliques pages 350 et 476.

Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration MEMOIRE 2  
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 3  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance MEMOIRE 4  
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté RELECTURE 1  
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde MEMOIRE 5  
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie ECRITURE 1  
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
A l'époque tribale

Le prochain et sa tradition

(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
A l'époque tribale, le prochain que l'on doit aimer est celui qui fait partie de la même tribu. Ainsi, se marie-t-on entre membres d'une même tribu et les codes de la vengeance régulent la criminalité : le frère de la victime ou le parent le plus proche est déclaré "vengeur/Goël". Il doit venger la victime dans la famille du criminel. Ce nouveau meurtre a pour effet d'instituer "vengeur" le parent proche de la nouvelle victime... Il peut en aller jusqu'à extinction de la tribu (cf. Jg 20).
(MEMOIRE 2)
A l'époque de l'assimilation/rejet, des tribus semi-nomades s'installent en Canaan ; elles sont autonomes mais se coalisent ponctuellement pour lutter contre l'oppresseur cananéen. Au terme de la lutte, une fraternité se tisse entre tribus (+1).
(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
A l'époque de l'assimilation/rejet,
le code de vengeance évite que l'anéantissement d'une tribu à cause d'un crime : Il faut se limiter à sept (Gn 4,15.24) (+2).
Dans le rapport avec les autres tribus, il y a, en temps de guerre, alliance autour d'un charismatique pour lutter contre les "ennemis" qui sont aussi "ennemis de YHWH" puisque c'est pour défendre les valeurs religieuses du désert que les tribus font la guerre à Canaan. Entre tribus, l'alliance dure aussi longtemps que dure la guerre. En temps de paix, les tribus reprennent leur indépendance. Au gré des guerres menées ensemble, un credo commun s'affermit et se précise. Mais pour montrer aux
ennemis que le dieu des tribus coalisées est vainqueur, il faut détruire les vaincus et toute trace de culte à leurs dieux, afin de ne être tenté de tomber sous la coupe des dieux ennemis : c'est la loi du "Herem/extermination" (Dt 20,16-18). 
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(+1)
Les tribus du Nord finiront par se retrouver sous le patronage de l'ancêtre Jacob.
(+2)
Le récit de Caïn et Abel témoigne d'une première restriction à la vengeance.
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(MEMOIRE 3)
A l'époque du roi Josias, contexte monarchique où une réforme institue la monolâtrie :  vénération de YHWH seul. Un premier noyau du Deutéronome est écrit. 
(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
A l'époque de Josias, le code de la vengeance interne à Israël se limite à la loi du Talion : "œil pour œil dent pour dent" (Ex 21,24) ; (Dt 19,21).
Par contre, le devoir d'éliminer ce qui pourrait amener Israël à pactiser avec les dieux ennemis reste en vigueur cf. (Ps 139,19) "Dieu, si tu voulais massacrer l'infidèle... Je le hais d'une haine parfaite...21. YHWH, n'ai-je pas en haine qui te hait, en dégoût ceux qui se dressent contre toi... 22. Je les hais d'une haine parfaite, ce sont pour moi des ennemis."
(MEMOIRE 4)
Au retour d'exil, en contexte monothéiste, rédaction du décalogue.
La théologie
nationaliste des prêtres s'oppose à celle du 3° Isaïe, universaliste.
Zacharie.
Le 3° Isaïe (Is 56-66) est très ouvert aux païens qu'il voit se rassembler en Sion à la fin des temps (Is 56.66).
Zacharie (Za 14) a aussi une perspective universaliste.
(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
Après l'Exil et la découverte du monothéisme,
le décalogue précise : "tu ne tueras pas" c'est-à-dire : tu ne feras pas de crime qui excède les lois de la vengeance ou les lois de la guerre.
  • Selon les prêtres, le monde est réparti et organisé à partir des patriarches : les liens de fraternité entre juifs doivent être renforcés ; le lignage saint d'Abraham, Isaac et Jacob marque une séparation d'avec les nations (peuples étrangers).
  •  Des perspectives s'opposent à cette vision, par exemple :  
- à la même époque, on raconte l'histoire de Ruth, la Moabite, épouse de Booz qui donnera naissance au futur grand père de David. Or, les Moabites représentaient le comble du paganisme puisqu'ils étaient les fils de l'inceste de Lot avec sa fille.
-
Au plan du culte, des rites identitaires séparent les juifs des païens qu'il ne faut pas fréquenter sous peine de se rendre "impur", c'est-à-dire inaptes au culte de YHWH (+1). Pourtant, le ger toshav/étranger résident peut participer à la pâque juive. 
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(+1) La "séparation/abdalah" est une obligation religieuse et le culte encourage cette séparation : les païens ne peuvent pas franchir la deuxième enceinte du Temple sous peine de mort. Cf. Le monde où vivait Jésus, Cerf n°15.
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(MEMOIRE 5)
À l'époque de Jésus, le monde juif est divisé sur la question du prochain et de l'ennemi (+1) : par exemples, la communauté de Qumran, Rabbi Aqiba, Rabbi Ben Azzaï...





Hillel Sage juif, légiste, rapatrié de Babylone 70 ans avant la naissance de Jésus.
(5,43)  Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.
Certains se réfèrent au 3° Isaïe et à Za 14 et sont universalistes, comme les Baptistes. (+1).
D'autres, comme les prêtres du Temple et la communauté de Qumran observent strictement la abdallah. (+2)
Entre guerre et paix et en attendant le shalom eschatologique, ce texte fait référence :
- (Lv 19,18) : "Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les fils de ton peuple/beney 'amekha. Tu aimeras ton prochain (qui est) comme toi-même (fils de ton peuple)".  "le prochain qui est comme toi-même", c'est le fils de ton peuple (le juif). C'était la règle générale en temps d'occupation ou de guerre (+3).
  • La règle de la communauté à Qumran : (1 QS 1,8-11) : "Ceux qui veulent pratiquer les préceptes de Dieu dans l'Alliance de grâce, afin qu'ils soient unis dans le Conseil de Dieu et afin qu'ils se conduisent devant lui de façon parfaite selon toutes les révélations concernant leurs fêtes réglementaires et afin qu'ils aiment tous les fils de lumière chacun selon son lot dans le Conseil de Dieu et afin qu'ils haïssent tous les fils de ténèbres, chacun selon sa faute, dans la Vengeance de Dieu".
  • D'autres courants définissent le prochain en s'indexant non pas  sur (Lv 19,18), mais sur (Gn 1,27) : "à l'image de Dieu, il le créa". Ils disent : "quand tu haïs, saches qui tu haïs : l'image de Dieu" (+4). Car à l'image de Dieu il le créa.
  • A l'époque de Jésus, Hillel posait ainsi sa règle d'or : "Ce qui t'est odieux, ne le fais pas à ton compagnon. C'est toute la Torah et le reste est son commentaire. Va et apprends".(+5). Hillel, babylonien revenu en terre d'Israël juste avant l'ère chrétienne, ne manquait pas d'envergure ; il pose ce principe au-delà du  temps de paix ou temps de guerre. "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît" résumait, pour lui, toute la Loi. (+6) 
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(+1)
Mouvement religieux conduit par Jean le Baptiste.
(+2)
Cf. "Mélanges de science religieuse" T. 60 2003 n°2. (+3)
La relecture chrétienne donne à l'expression : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" un sens apologétique idéal basé sur "l'amour de soi" comme "image de Dieu" selon l'Evangile.
(+4) Sifra sur Lévitique 19,18 (Ed. Weiss 89b). "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Rabbi Aqiba dit : C'est un grand principe dans la Torah (il vit en temps de persécution avant +135 qui signe la fin de la Jérusalem juive). Ben Azzai en période apaisée dit : "C'est le livre des générations d'Adam, c'est un principe plus grand encore". Aqiba dans les Aboth de rabbi Nathan (Aleph 16,32b) disait aussi : "S'il fait les œuvres de ton peuple, tu l'aimeras et sinon tu ne l'aimeras pas". C'est toujours la pratique qui guide la lecture de la Torah et de l'Ecriture.
(+5)
TB Shabbat 31a Il arriva qu'un païen vint devant Shammai. Il lui dit : fais de moi un prosélyte à condition que tu m'enseignes toute la Torah tandis que je me tiens sur un pied. (Shammai) le frappa avec la règle de maçon qui était dans sa main. Le païen vint devant Hillel. Il le prit comme prosélyte. Il lui dit : "Ce qui t'est odieux, ne le fais pas à ton compagnon. C'est toute la Torah et le reste est son commentaire. Va et apprends (zil gmor)
"
(+6)
Cette règle d'or trouvera une expression moderne dans la définition des "droits de l'homme" (en 1789). On peut l'exprimer ainsi : "Ma liberté s'arrête là où elle se heurte à la liberté d'autrui". Ce principe juif et universel est bien fait pour apaiser les conflits (y compris ceux qui naissent de la liberté d'expression).
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(MEMOIRE 5)
Jésus au temps de sa prédication.

Jésus et Ben Azzaï

(5,44)  Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs,
(5,45)  afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.
Jésus ne définit pas le "prochain" dans les limites d'Israël, selon le principe qui prévalait en temps de guerre (Lv 19). Il se réfère à (Gn 1) : "Dieu fait lever son soleil sur tous les hommes..." Il rejoint en cela Ben Azzaï.
Pourtant l'occupation romaine est là ? Apporte-t-il la paix dont rêvent les partisans de Ben Azzaï ? Mais il ne reprend pas la règle d'or de Hillel (+1). Jésus donne comme l'amour du prochain comme précepte à vivre  ici et maintenant et non pour les temps eschatologiques. Qu'est-ce à dire ?
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(+1)
Qui pourtant est un beau compromis entre la définition du prochain en temps de guerre et l'aspiration de Ben Azzaï à la paix des temps eschatologiques.
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(MEMOIRE 5)
(ECRITURE 1)

Ce dialogue entre contemporains au temps de Jésus est à la frontière entre les mémoires et l'Ecriture. En effet, l'(Ecriture 1) peut être une tradition orale fixée au temps de Jésus, même si ce n'est que plus tard qu'elle deviendra le Matthieu araméen, et plus tard encore, le Matthieu en Syrie que nous connaissons (cf. schéma des traditions synoptiques).

Jésus au delà de Hillel

(5,46) Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les collecteurs d'impôt eux-mêmes n'en font-ils pas autant ?
Les collecteurs d'impôt, qui travaillent au compte des Romains, attestent que l'on est en temps de guerre ! La paix eschatologique avec la victoire éclatante de l'Amour de Dieu pour le monde entier n'est pas encore là. Jésus ne se projette pas à la fin du monde ; il parle pour ici et maintenant ; et l'amour du prochain qu'il instaure dépasse de loin le frère juif (Lv 19). Son enseignement dépasse le bien qu'un collecteur d'impôt - quoique voleur et collaborateur des Romains - était capable de faire à ceux qui lui veulent du bien.
(5,47)  Et si vous réservez vos saluts à vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? Il dépasse également la réciprocité dans le bien, telle qu'elle se pratique chez les païens. Jésus rejoint-il Hillel, son presque contemporain, pour qui la loi, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix, se résumait à ceci :  "Ce qui t'est odieux ne le fais pas à ton prochain, c'est toute la loi" ? Malgré les apparences, Jésus diffère d'Hillel, précisément dans sa "règle d'or" (+1) qui éclairent le reste de son enseignement sur le rapport aux ennemis cf. (Mt 7,12).    

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(+1)
Jésus retourne la règle de Hillel en forme positive et prend ainsi une dimension infinie. De même, la conclusion de Hillel est transformée, elle englobe désormais les prophètes, auxquels Jésus se réfère dans son dévoilement du Royaume et de la Torah.
Hillel disait : ce qui t'es odieux, ne le fais pas.... c'est toute la loi et le reste est son commentaire. Pour Hillel, comme pour les rabbins, les prophètes sont secondaires par rapport à la Torah (Pentateuque). 

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(ECRITURE 1)
Deux chapitres plus loin : Mt 7. Ch. 5 et 7 sont interrompus par le Notre Père et  ses conséquences pratiques chez Mt ; chez Lc la règle d'or est à sa place, au cœur de la péricope sur l'amour des ennemis et le Notre Père n'arrive qu'au Ch. 11.
Il faut donc regrouper Mt 5,43-48 et Mt 7,12 comme dans le texte de Lc 6,27-35.  
(Mt 7,12)  "Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c'est là la loi et les prophètes."
La règle d'or de Hillel se terminant par "en cela consiste toute la loi et le reste est son commentaire" est connue. Jésus reprend cette conclusion de Hillel "c'est là toute la Torah et le reste son commentaire", mais il ajoute : "et les prophètes". Ce faisant, il en change le sens : Hillel voulait dire que sa règle d'or pouvait se substituer à la pratique de la Torah des Sages, mais des prophètes, il n'en fait même pas mention car il appartient au judaïsme officiel (+1). Jésus, au contraire, se réfère aux prophètes car il s'inscrit dans leur sillage : le temps de la prophétie est ouvert à nouveau ; tout son ministère est dans la ligne d'Élie ou de Moïse dont le courant apocalyptique attendait le retour.
Jésus modifie la conclusion de la "Règle d'Or" de Hillel, en retournant sa forme négative : "Ce qui t'est odieux, ne le fais pas à ton prochain" en "tout ce que vous voulez qu'on fasse pour vous, faites-le aux autres" - forme non restrictive, ouverte à tout ce que les hommes peuvent désirer et vouloir se partager.
Or, le désir de l'homme va jusqu'à désirer ce que seul Dieu peut donner. C'est cela que Jésus vient offrir dans le sermon sur la montagne et dans l'annonce de son Royaume : le partage, ici et maintenant, de tout ce que ben Azzaï attendait pour la fin des temps quand il n'y aurait plus de guerre : la miséricorde, le communion avec Dieu... tout cela est donné dans la relation à Jésus malgré la guerre. Si le shalom de la fin des temps est ainsi donné par l'union à Jésus, le prochain devient tout homme, y compris l'ennemi. La règle d'or de Jésus peut résumer et achever toute la Loi et les prophètes. Cela suppose de recevoir Jésus comme Envoyé du Père.  
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(+1)
Dans le judaïsme officiel les prophètes ont cessé depuis Aggée, Malachie, Zacharie et l'esprit Saint des prophètes a été donné aux Sages. TJ Berakhot A,7,3b ; Ou encore "aucun prophète n'est autorisé à innover encore une chose à partir de maintenant" Sifra behukkotay 13,7 ; TB Temura 16a (J. BERNARD, La Torah : interprétations divergentes MSR)
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(MEMOIRE 5)
(ECRITURE 1)  suite
Le grand rabbi Gamaliel, à l'époque de Jésus, n'hésita pas à corriger le Talmud qui interdisait au juif de voler un autre juif, mais permettait au juif de voler un non-juif. Gamaliel décréta une nouvelle loi selon laquelle il est interdit de voler un non-juif car dans cet acte se trouvait la désacralisation du nom de Dieu (+1).
(5,48)  Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Avec le Royaume, la paix eschatologique fait irruption dans le monde par la parole de Jésus (réouverture de la prophétie). Jésus se situe dans courant apocalyptique du judaïsme d'alors.
Dieu, en épousant notre chair et en permettant à celle-ci de le rencontrer en Jésus, donne à l'homme ce dont il rêve et la transmission de ce don devient la règle d'or : comment ne pas vouloir que le païen puisse, lui aussi en hériter ?
Ce don proposé à tout homme, quel qu'il soit, est la rencontre de Dieu dans le prochain, après l'avoir rencontré dans le Verbe fait chair. Jésus, Parole vivante de Dieu, accomplit sur terre la perfection visée par le Lévitique : "Soyez parfaits, car moi, YHWH, votre Dieu, je suis parfait" (Lv 19,2). Chez Lc 6,36, la perfection consiste en l'imitation de la miséricorde du Père.
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(+1) Talmud de Jérusalem, traité Baba Kama, ch. IV, Halakha 3.
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Saint Léon le Grand, V° siècle, Rome. Elu pape, par le peuple romain. Il a pour conseiller saint Pierre Chrysologue.

Saint Léon le Grand : "Reconnais, chrétien, la valeur de ta sagesse..."

"Reconnais, chrétien, la valeur de ta sagesse (...) La miséricorde veut que tu sois miséricordieux ; la justice veut que tu sois juste, afin que le Créateur apparaisse dans sa créature et que dans le miroir du cœur humain resplendisse l'image de Dieu exprimée par les traits qui le reproduisent. Ta foi peut être assurée si elle s'accompagne de la pratique : tout ce que tu désires viendra à ta rencontre et tu posséderas sans fin ce que tu aimes." (+1)
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(+1)
Sermon sur les béatitudes, Bréviaire : dimanche 23° semaine.
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Toute société est régie par des codes, des lois, des règles...
Bien avant les premiers écrits bibliques, les tribus semi-nomades avaient les leurs pour la vie tribale interne, avec les autres tribus et avec les ennemis.(+1)
Avec la réforme de Josias (-620), le peuple ne doit vénérer que YHWH seul et être uni contre l'ennemi (Egypte, Assyrie...) ; le "frère" n'est plus seulement celui de la même tribu, ou d'une tribu sœur, mais tout membre du peuple. Plus que jamais, il faut haïr les ennemis ; ils sont ennemis de YHWH : (Ps 139,21-22) : YHWH, n'ai-je pas en haine qui te hais, en dégoût ceux qui se dressent contre toi ? Je les hais d'une haine parfaite, ce sont pour moi des ennemis.
Au retour d'Exil, Israël entre dans le monothéisme d'Alliance ; les prêtres réécrivent un décalogue (Ex 20), mettent à jours les lois, en érigent de nouvelles dans cette perspective ; Le Lévitique donne un cadre général : le "frère", le "prochain" désigne le juif, membre du même peuple.
Mais les questions surgissent : si Dieu est l'Unique, Créateur de tout, le non-juif, et même l'ennemi, ne sont-ils pas créés par Dieu ? voulus par Lui ?
Cette question du "prochain", des relations avec les "non-juifs", avec "l'ennemi" est centrale dans le judaïsme et longuement débattue à l'époque de Jésus : Est-on en temps de guerre ou de paix ? Et qu'en sera-t-il à la fin des temps, lorsque l'amour de Dieu sera vainqueur ? Ce sera le grand Shalom ! Il n'y aura plus d'ennemis ? En attendant, l'oppresseur romain est là !
C'est dans ce contexte que Jésus donne cet étrange enseignement... que les communautés chrétiennes, en pleines guerres juives (70 à 150 ap. JC) garderont et transmettront aux nouveaux baptisés, jusqu'à aujourd'hui.

En bref, aimez vos ennemis

Jésus enseigne avec une autorité qui pose question : il part bien de l'Ecriture (la Torah), mais sans se référer aux sages. De son propre chef, il donne une pratique nouvelle ; or la pratique est le fondement de l'unité d'Israël.
Ce qu'il enseigne, tel un nouveau Moïse, est inouï : alors même que le pays est envahi par les Romains et que le judaïsme est traversé par des courants qui s'opposent parfois violemment, Jésus dit : "Aimez vos ennemis..."
Certains sages de l'époque allaient dans ce sens (cf. Ben Zakkaï et Hillel), mais Jésus va plus loin, l'amour des ennemis est à vivre ici et maintenant ! Cette nouvelle pratique contenue dans une règle d'or : tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ! (+2) résume la Loi (Pentateuque) et les prophètes !  
Tout homme, y compris mon propre ennemi, l'ennemi de Dieu, est mon prochain et je dois l'aimer comme Dieu l'aime, c'est-à-dire en lui offrant ce à quoi son cœur aspire le plus. Cet amour et le pardon inconditionnel qui va avec sont à vivre sans attendre de jours meilleurs ! 
Impossible ! Oui, à l'homme, c'est impossible. Mais pas à Dieu ! (Cf. Mt 19,26) Ce précepte est à vivre, non avec les forces humaines, mais avec Jésus, dans et par son Esprit, en communion avec le Père qui habite le secret des cœurs... (+3)
Les Pères de l'Eglise montreront que ce commandement renvoie au cœur de la foi chrétienne qui est avant tout une mystique, c'est-à-dire une manière de vivre dans le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption : depuis la venue de Jésus et le don de sa vie sur la Croix, pour peu qu'on l'accueille, Dieu vient habiter en l'homme et le transformer, le diviniser... L'homme qui n'a jamais pu gérer et régler la violence par sa sagesse, ni même par la pratique des commandements reçus de Dieu, doit simplement apprendre à laisser agir l'Esprit Saint en lui. Alors, il fait l'expérience d'être vraiment "fils du Père" et frère de tout homme. Comme son Seigneur, il sera persécuté, mais, au milieu des tribulations, il vivra de la liberté des enfants de Dieu et connaîtra une joie que nul ne peut ravir (Jn 16,22).  
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(+1)
Les textes de l'AT portent la trace de ces vieux codes ancestraux. les premiers écrits bibliques ont du voir le jour dans les sanctuaires du nord ; c'était précisément des codes et sans doute aussi des éléments liturgiques ? Ainsi la longue période d'assimilation-rejet a-t-elle donné lieu à des codes notifiant les relations entre tribus sœurs et les rapports envers les ennemis (rois cananéens), notamment en temps de guerre et de conflits.
(+2)
Jésus retourne ainsi la magnifique règle d'or de Hillel !
(+3)
C'est pour cela que Matthieu a inséré l'enseignement sur la prière et le "Notre Père" entre le précepte sur l'amour des ennemis (Mt 5) et la règle d'or (Mt 7).
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

En savoir plus
Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
Les fondements bibliquesLes fondements bibliques
Entrer dans la foi avec la BibleEntrer dans la foi avec la Bible
Autre publication du père Jacques Bernard
Ressources théologiques et philosophiquesRessources théologiques et philosophiques