Verset(s) de la Bible 1 Co 10,1-6

Paul écrit à la communauté de Corinthe.
Cette communauté est composée essentiellement de païens, mais sans doute aussi de quelques juifs ? 
En tous cas, ici, Paul donne une interprétation audacieuse d'un texte de l'Ancien Testament.
Texte qui fait sans doute référence pour les juifs, car il évoque le temps où les Israélites étaient au désert, ce temps d'épreuve, mais où Dieu accompagnait et prenait soin de son peuple.

Ce rocher, c'était déjà le Christ

(10,1)  Car je ne veux pas que vous l'ignoriez, frères: nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer, 
(10,2)  tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, 
(10,3)  tous ont mangé le même aliment spirituel 
(10,4)  et tous ont bu le même breuvage spirituel - ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ. 
(10,5)  Cependant, ce n'est pas le plus grand nombre d'entre eux qui plut à Dieu, puisque leurs corps jonchèrent le désert. 
(10,6)  Ces faits se sont produits pour nous servir d'exemples, pour que nous n'ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes.
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)
 
Voir aussi, les fondements bibliques pages 476, 258, 543, 453.  
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté MEMOIRE 1  
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes ECRITURE 1  
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 

Une tradition apocalyptique ancienne que l'on retrouve dans la tosefta (+1) et dans les "antiquités bibliques" du pseudo-Philon (contemporain de Jésus), parle du rocher frappé donnant l'eau de la Torah et suivant le peuple sous la forme d'un puits.




Un rocher spirituel qui les suivait

(10,1)  Car je ne veux pas que vous l'ignoriez, frères: nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer, 
(10,2)  tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, 
(10,3)  tous ont mangé le même aliment spirituel 
(10,4)  et tous ont bu le même breuvage spirituel - ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ. 
(10,5)  Cependant, ce n'est pas le plus grand nombre d'entre eux qui plut à Dieu, puisque leurs corps jonchèrent le désert.
 Un commentaire juif de Nb 21,19 dit : "C'est un don qui va des ouadis aux haut-lieux. Ce don de l'eau suivait donc Israël partout."
Les antiquités bibliques disent : "Tels furent les trois dons que Dieu fit à son peuple à cause des trois personnages : le puits d'eau de Mara en faveur de Marie ; la colonne de nuée en faveur d'Aaron ; et la manne en faveur de Moïse. Mais une fois les trois personnages disparus, ces trois dons furent retirés aux fils d'Israël".
Cette tradition est bien antérieure à Paul (+2)


 
en savoir plus
(+1)
Tosefta : écrit parallèle à la Mishna et qui contient des baraïtot/opinions anciennes.
(+2)
On pourra lire à ce sujet la thèse de Germain Bienaimé (Tournai) de même que celle Edouard Marie Gallez "Le Messie et son prophète" Editions de Paris 2012, p. 24s.
On trouvera aussi cette tradition ad locum dans le Targum et dans la Mekhilta de rabbi Ishmaël.
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(ECRITURE 1)
Paul relit cette tradition ancienne et l'applique à Jésus. 
(10,1)  Car je ne veux pas que vous l'ignoriez, frères : nos pères ont tous été sous la nuée, tous ont passé à travers la mer,
(10,2)  tous ont été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer,(+1)
Ce n'est pas en faveur d'Aaron, comme dans les Antiquités bibliques. Le christianisme paulinien ne parle plus d'Aaron mais seulement de Moïse.
(10,3) tous ont mangé le même aliment spirituel 
La manne est qualifiée d'aliment spirituel. C'est sans doute une allusion à 1 Co 15,44 où le spirituel est mis en lien - non plus avec Moïse - mais avec le Christ nouvel Adam "pneumatique", contrairement à l'Adam modelé du sol qui est seulement psychique ou charnel.
(10,4) et tous ont bu le même breuvage spirituel - ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c'était le Christ.
L'eau du puits qui suivait le peuple dans le désert est l'eau du rocher qui, comme le puits, accompagnait les Hébreux dans le désert (+2). Les trois symboles : le rocher, la nuée et la manne sont devenus le Christ, par le don "pneumatique" qui est fait à l'homme grâce à la visite de Dieu en Jésus. 
Le livre de Josué (Jos 5,12) dit que lorsqu'ils passèrent le Jourdain, la manne cessa. La tradition juive affirme qu'elle reviendrait aux jours du Messie.   
(10,5) Cependant, ce n'est pas le plus grand nombre d'entre eux qui plut à Dieu, puisque leurs corps jonchèrent le désert. 
Pour Paul, ces trois dons ne rendaient pas à Israël l'immortalité originelle, puisqu'ils moururent (cf. le même enseignement en Jn 6 : "vos pères ont mangé la manne et ils sont morts"). Ce n'est qu'avec la nourriture "pneumatique" et la boisson "pneumatique" apportée par le Christ que l'immortalité peut être rendue à Israël qui l'a perdue par le péché des anges ou, dans l'optique de Paul, dans le péché d'Adam (cf. Rm 5).
(10,6) Ces faits se sont produits pour nous servir d'exemples, pour que nous n'ayons pas de convoitises mauvaises, comme ils en eurent eux-mêmes. 
Paul explique : si les pères sont morts, c'est qu'ils avaient des convoitises mauvaises. Mais maintenant, Jésus vient redonner à tout homme son statut "originel", qu'il avait dans la création "pneumatique" de Gn 1. Ce don totalement rendu à l'homme en la seule personne de Jésus, lui rend aussi l'immortalité.
Le croyant en Jésus-Christ doit conformer sa vie à ce don.
Comment Paul peut-il projeter cette lecture chrétienne dans celle de l'Exode et les comparer comme si elles étaient issues du même mystère  ? Ce mystère aurait-il eu sa forme primitive en Adam ? sa première manifestation dans l'Exode ? et sa manifestation accomplie dans le Christ ?
Pour Paul, c'est le même mystère du don de Dieu pour son peuple qui se déroule dans les trois manifestations, et à chaque fois, elles se heurtent au péché et au refus.
On peut appeler "Mémorial" cette vision de l'unité divine dans le don qu'il fait au commencement, dans l'Exode, en Jésus et dans l'Église. (+3) 
en savoir plus
(+1)
Dans les Antiquités bibliques, c'est en faveur du prêtre Aaron, que tous ont passé la mer.

(+2)
Le puits, comme le rocher, sont ici le Christ et non plus Myriam.
(+3)
Cela suppose évidemment que l'on a fait la découverte du monothéisme et dans cette découverte que l'on a situé dès avant la fondation du monde le don de la Torah (Si 24,23 ; 2 Bar 4,1) et a fortiori, le don de Jésus comme Verbe et comme Messie.
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L'interprétation que fait Paul de l'Exode évoque des traditions juives anciennes de teneur apocalyptique qui attendait une manne nouvelle (symbole de la Parole de Dieu), une nuée nouvelle (symbole de la présence de Dieu) et un rocher nouveau (symbole de la Présence et du Temple).
Paul reprend ces traditions et les appliquent avec une grande liberté à Jésus.

En bref, ce rocher, c'était le Christ

Paul, comme Jean (Jn 6) sont imprégnés du judaïsme apocalyptique pour qui la présence et la parole de Dieu s'est comme tarie ou voilée pour le peuple d'Israël et donc pour tous les hommes, à cause du péché. Un péché si grand que la présence de Dieu et sa parole sont devenus obscures.
Pour Paul, comme pour Jean, Jésus est la Parole nouvelle, l'Alliance nouvelle qui réalise et accomplit les attentes apocalyptiques d'Israël ; il est le rocher/présence de Dieu qui accompagne son peuple, il est la colonne de nuée et il est la manne nouvelle...
Mais Paul affirme que c'était déjà le Christ qui accompagnait les tribus dans le désert. C'est là un véritable mémorial. La présence du Christ, sa parole sont mémoriales.

C'est dire qu'elles sont préexistantes et éternelles. 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

En savoir plus
Le blasphème de JésusLe blasphème de Jésus
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