Verset(s) de la Bible Mc 2,23-28

Dans ce texte, Jésus, pour justifier l'attitude de ses disciples, se réfère à un épisode du livre de Samuel où David et ses compagnons entrent dans le temple et mangent les pains réservés à l'offrande.

Mais si on se rapporte à (1 S 21,2-10), on ne trouve pas exactement l'épisode décrit. Comment comprendre cela ?



Voir commentaire, après le tableau boussole. 

Les épis arrachés - Jésus et le shabbat

(2,23)  Et il advint qu'un jour de sabbat il passait à travers les moissons et ses disciples se mirent à se frayer un chemin en arrachant les épis.
(2,24)  Et les Pharisiens lui disaient : "Vois ! Pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n'est pas permis ?"
(2,25)  Il leur dit : "N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans le besoin et qu'il eut faim, lui et ses compagnons,
(2,26)  comment il entra dans la demeure de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains d'oblation qu'il n'est permis de manger qu'aux prêtres, et en donna aussi à ses compagnons ?"
(2,27)  Et il leur disait : "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat ;
(2,28)  en sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat."

Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Voir aussi (Les fondements bibliques, page 354)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens MÉMOIRE 1  
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde MÉMOIRE 2  
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome ECRITURE 1  
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Les juifs gardent soigneusement les prescriptions relatives au sabbat qui, depuis l'Exil où ils ont été affrontés aux jours shapattu babyloniens (phases de la lune), font leur identité (+).

Les lois du sabbat sont tirées de (Ex 20,8-11), voir (Ex 20,1-21) (origine : la création) : après l'exil à Babylone ; ou encore de (Dt 5,12-15), voir (Dt 5,1-22) (origine : l'Exode) avant l'exil à Babylone.

Des textes montrent qu'un certain nombre d'exceptions y ont été apportées :
- (1 M 2,41) (guerre défensive en sabbat) ;
- Livre des Jubilés 50,11 (livre en valeur à Qumran : Sacrifice au temple exception au sabbat) ;
- CD Document de Damas.
Pour un résumé des différentes règles de sabbat, voir JP Meier (JPM), Jésus, tome4 p.143.

Exceptions au shabbat

(2,23)  Et il advint qu'un jour de sabbat il passait à travers les moissons : dans un village, les champs et les maisons peuvent être proches, mais ce peut être aussi une histoire fictive pour étudier un cas d'école.
et ses disciples se mirent à se frayer un chemin en arrachant les épis. (Lc 6,1) ajoute qu'ils froissaient les épis. Le jour du sabbat, les juifs ne doivent faire aucun travail rémunérateur afin de mettre leur confiance totale en YHWH qui a donné double part le vendredi pour le sabbat (Ex 16,22s). Mais le sabbat doit aussi être "un jour de délices" ('oneg shabbat) et donc, si quelqu'un a faim, ce geste peut être excusé (comme de donner à boire à son âne), d'autant plus que ce n'est pas Jésus qui le fait. 

(2,24)  Et les Pharisiens lui disaient : "Vois ! Pourquoi font-ils le jour du sabbat ce qui n'est pas permis ?" Jésus n'est accusé qu'à travers ses disciples.
en savoir plus
(+1)Les jours "shapattu" du calendrier assyro-babylonien tombaient les 7,15,21,28 du mois. Israël en a fait un arrêt hebdomadaire. Cf Marc DE LAUNAY "Histoire du sens et sens de l'histoire" CNRS Edit. Septentrion 2011 p.89  Voir également Ex 20,8 dans Ex 20,1-21 et Gn 1-2,3s, au verset 2,2s.   
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Il s'agit d'une relecture ecclésiale, car le texte cité est erroné (1 S 21,2-10) : ce n'est pas Abiathar mais Ahimelek et David n'a pas de compagnons dans le récit (JPM4, p. 175).

L'exemple de David

(2,25)  Il leur dit : "N'avez-vous jamais lu ce que fit David, lorsqu'il fut dans le besoin et qu'il eut faim, lui et ses compagnons,
(2,26)  comment il entra dans la demeure de Dieu, au temps du grand prêtre Abiathar, et mangea les pains d'oblation qu'il n'est permis de manger qu'aux prêtres, et en donna aussi à ses compagnons ?"  Ce qui est rapporté ne correspond pas au récit de (1 S 21,2-10) où David est seul avec le prêtre Ahimelek et non Abiathar. Difficile d'imaginer que Jésus puisse ainsi se tromper en citant l'Ecriture. D'autant qu'un précédent dans l'Ecriture ne peut justifier une halakhah.
A moins qu'on ne soit dans un cas d'école, et que le précédent de David soit invoqué pour souligner l'autorité de Jésus vis-à-vis du Temple, comme celle de David vis-à-vis du temple et du prêtre favori de David : Abiathar (et non Ahimelek).
Jésus s'abriterait sous David affichant une suprématie sur le Temple et sur la halakhah du sabbat. Ce patronage placerait Jésus dans la lignée de David,  en concurrence avec le Temple et avec les Sages pour la halakhah du Sabbat.
Ce cas d'école à portée christologique trouverait son origine, non en Jésus, mais dans la catéchèse ecclésiale de Rome où les chrétiens ne sont pas très à même de discerner les erreurs de citations bibliques.
Mais peut-être que cette catéchèse romaine a un fondement dans la réalité vécue au temps de Jésus et qu'elle est le truchement d'une autre polémique que Matthieu, en restant dans la ligne de la catéchèse de Marc, donne de manière beaucoup plus vraisemblable. L'autre partie de l'histoire est donnée par Matthieu, bien meilleur connaisseur des pratiques juives et qui sont parfaitement comprises dans l'Eglise syrienne à laquelle il dédie son Evangile. cf. Mt 12,1-8). 
Un détail historique est authentifié par (Lc 6,1) (Shabbat second premier : lorsque le shabbat de la semaine tombe en même temps que la fête qui est aussi déclarée shabbat, on le dit : shabbat second premier conformément à certaines éditions de Luc. (Mathy Cohen MSR) 

L'exemple du Temple chez Matthieu 12,5-7

(Mt 12,5)  Ou n'avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute ? La règle était connue de la Bible.
En (Nb 28,10) le sacrifice de shabbat (deux agneaux et farine) accompagne le sacrifice perpétuel (tamid). On trouve aussi cette exception à Qumran si strict sur la halakhah. Dans le livre des Jubilés 50,11 : "Faire fumer l'encens et présenter offrandes et sacrifices... c'est le seul travail qui sera accompli le jour de shabbat dans le sanctuaire..." Et dans le Document de Damas 11,17 lui aussi très strict sur la halakhah : "Qu'on n'offre rien sur l'autel le shabbat, si ce n'est l'holocauste du shabbat". Autrement dit : partout, il y a au moins un sacrifice à faire le jour de shabbat.
(Mt 12,6)  Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple.  Si le sacrifice à assurer au Temple légitime une exception aux lois du shabbat, à combien plus forte raison si Jésus vient, puisque sa venue signifie dans l'apocalyptique à laquelle il se réfère, la remise des fautes : "Tes péchés sont pardonnés, dit-il au paralytique" (Mc 2,5) ou "Ne pèche plus" (Jn 5,14) ; "Tes péchés sont remis" (Lc 7,48). Le prophète (Os 6,6) avait déjà annoncé la priorité de l'Amour sur les sacrifices, et on attendait la réalisation de ce primat de l'Amour pour les temps eschatologiques. Ce sont ces temps que Jésus dit arrivés, et c'est par sa venue. Voilà pourquoi il peut dire qu'il y a ici, avec lui, plus grand que le Temple. Or quand on sait que le Temple était considéré comme étant monté à la pensée de YHWH avant la création du monde (+1), ceux qui entendaient Jésus pouvaient eux aussi penser à sa préexistence.

(Mt 12,7)  Et si vous aviez compris ce que signifie : C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné des gens qui sont sans faute. Les pharisiens ne voient pas qu'avec lui les temps eschatologiques ont fait irruption dans le temps par le pardon du Père que signifie la présence de Jésus, bien plus importante que le Temple. Ce pardon peut amplement couvrir l'imprudence halakhique des disciples. Ce qui peut se dire dans la catéchèse de Matthieu pouvait difficilement se prêcher dans l'Eglise de Marc à une époque où le temple de Jérusalem est menacé, voire déjà détruit par les Romains. Le précédent de David et des pains de proposition jouait le même rôle catéchétique aux yeux des Romains, puisque Jésus y était célébré comme héritier de David dans son geste avec Abiathar, l'initiateur du culte auprès du roi. 
en savoir plus
(+1)
Dans le midrash Gn Rabba.
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(MEMOIRE 2) (ECRITURE 1)
Différence avec Menaya.

Jésus : le shabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le shabbat

(2,27)  Et il leur disait : "Le sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le sabbat ;
B. Shiméon ben Menaya (JPM4 p.180) : Le shabbat vous est donné, vous n'êtes pas donnés au shabbat.
Le Shabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le shabbat. Portée universelle et non plus uniquement juive  (référence à la création universelle JPM4 p.181). Avec ce texte, on est aussi dans la perspective de la création, comme on l'était avec la suprématie de Jésus sur le Temple. Jésus plus grand que le Temple préexistant et Jésus maître du Shabbat que Dieu a institué lors de la création, tout cela situait Jésus aux origines comme contemporain de l'acte créateur du Père.
C'est en même temps une prise de position de Jésus sur la création dont il refait la bonté initiale comme dans (Mt 19) pour le mariage  Il est à l’œuvre dans la création comme Dieu son Père (Jn 5).

Le Fils de l'homme maître du shabbat

(2,28)  en sorte que le Fils de l'homme est maître même du sabbat." Si l'on en croit l'exégèse de Daniel Boyarin sur "le Fils de l'homme", ce dernier était auprès de Dieu l'Ancien des jours comme représentant l'homme jeune après de Dieu depuis les origines. Cette représentation en Dieu d'une double relation entre Dieu créateur et l'homme créé n'est pas impossible.
Dans le livre de Daniel (Dn 7,13) cette double représentation est le résultat des persécutions de -167. Si Dieu a pu créer l'homme "de rien" (2 M 7,28) il peut aussi le transfigurer dans sa mort pour le reprendre auprès de Lui. Ainsi est née la foi en la résurrection des martyrs.
Dès lors si le martyr transfiguré par Dieu peut se tenir auprès de Dieu comme "Fils du peuple" (Dn 7,27) pour juger les persécuteurs, pourquoi le mouvement inverse, de Dieu vers l'homme transfiguré par son Amour, ne serait-il pas possible.
Le "fils de l'homme" compagnon de Dieu avant les temps pourrait donc rejoindre le "fils de l'homme" siégeant auprès de Dieu dans son martyre. Il pourrait aussi se montrer  transfiguré en l'homme qu'il visiterait en Jésus et serait donc fondamentalement maître du Shabbat fait pour l'homme depuis la création du monde.
Le commentaire montre que ce récit, s'il peut avoir un fondement historique du temps de Jésus, a été relu par l'Eglise primitive de Marc qui s'adresse à des chrétiens à Rome. 

En bref, les épis arrachés chez Mc

Les chrétiens de Rome n'ont pas la même connaissance des Ecritures que les juifs de Palestine. La citation erronée du livre de Samuel peut passer inaperçue à des yeux non experts ; il s'ensuit que le texte de Marc ne donne pas les appuis corrects qui expriment l'autorité de Jésus vis-à-vis du Temple et de la Torah.

Il faut pour cela aller voir le texte de Matthieu (Mt 12,1-8). 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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