Verset(s) de la Bible Mt 12,1-8

Nous voilà avec ce texte, sur les chemins avec Jésus et ses disciples.
En fait, cet épisode des épis arrachés ne peut parler vraiment qu'à ceux qui savent ce que représentaient le shabbat et le Temple avec ses sacrifices à l'époque.
C'est sur ce fond de judaïsme ancien que cette controverse ainsi que les paroles de Jésus prennent sens. 
Voir le commentaire au-dessous du tableau. 

Les épis arrachés

(12,1)  En ce temps-là Jésus vint à passer, un jour de sabbat, à travers les moissons. Ses disciples eurent faim et se mirent à arracher des épis et à les manger. 
(12,2)  Ce que voyant, les Pharisiens lui dirent : "Voilà tes disciples qui font ce qu'il n'est pas permis de faire pendant le sabbat !"  
(12,3)  Mais il leur dit : "N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il eut faim, lui et ses compagnons ?  
(12,4)  Comment il entra dans la demeure de Dieu et comment ils mangèrent les pains d'oblation, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ses compagnons, mais aux prêtres seuls ?  
(12,5)  Ou n'avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute ?  
(12,6)  Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple.  
(12,7)  Et si vous aviez compris ce que signifie : C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné des gens qui sont sans faute.  
(12,8)  Car le Fils de l'homme est maître du sabbat." 
Bible de Jérusalem (éd.1975)

Voir aussi (Les fondements bibliques, page 323)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple MEMOIRE 1  
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes MEMOIRE 2  
En Samarie    
En Syrie ECRITURE 1  
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Geste de Jésus véhiculé dans les premières catéchèses.

Dans le judaïsme ancien, chaque shabbat, était offert au minimum au Temple - le tamid - (sacrifice perpétuel) : cela consistait en un agneau le matin et un agneau le soir, plus un sacrifice supplémentaire (moussaf) pour le shabbat.
En (Nb 28,10) le sacrifice de shabbat (deux agneaux et farine) accompagne le sacrifice perpétuel (tamid). (+1)

Voir aussi (Mc 2,23-28)

Jésus plus grand que le Temple et que le shabbat

(12,1)  En ce temps-là Jésus vint à passer, un jour de sabbat, (Lc 6,1) précise même que c'était un "shabbat second premier", c'est-à-dire le shabbat de la fête de Pâques (+2). à travers les moissons. Ses disciples eurent faim et se mirent à arracher des épis et à les manger.
(12,2)  Ce que voyant, les Pharisiens lui dirent : "Voilà tes disciples qui font ce qu'il n'est pas permis de faire pendant le sabbat !" De fait, le jour du shabbat, il est interdit de faire un travail pour se nourrir. 
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(+1)
Dans le livre des Jubilés 50,11 (intertestamentaire), " faire fumer l'encens et présenter offrandes et sacrifices... est le seul travail qui sera accompli le jour de shabbat dans le sanctuaire...".
Document de Damas 11,17 (intertestamentaire) : "Qu'on n'offre rien sur l'autel le shabbat, si ce n'est l'holocauste du shabbat." Autrement dit, partout, il y a au moins un sacrifice à faire le jour de shabbat.
(+2) Un détail historique est authentifié en (Lc 6,1) : Le "shabbat second premier" : Lorsque le shabbat de la semaine tombe en même temps que la fête qui est aussi déclarée shabbat, on le dit : "shabbat second premier" conformément à certaines éditions de Luc. (Mathy Cohen MSR)
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Le récit se trouve dans les trois Evangiles synoptiques, mais seul Matthieu fait la comparaison avec le Temple. Cette comparaison ne devait plus guère intéresser les églises pagano chrétiennes de Marc à Rome et de Luc à Ephèse, depuis qu'en (+70) le Temple avait été détruit et que le sacrifice perpétuel ne se faisait plus. (+1)
(12,5) Ou n'avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute ? De fait, pour le prêtre (et ses acolytes), tuer un taureau pour l'offrir, transporter le bois pour le faire brûler, puis laver à grandes eaux l'emplacement du sacrifice, représentait un gros travail. Cette entorse au repos du shabbat était pourtant admise afin de respecter le devoir, prescrit dans la Torah, du sacrifice perpétuel au Temple. 
(12,6) Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple. Jésus excuse ses apôtres en prenant argument que si les prêtres font une exception au shabbat pour le Temple, les disciples peuvent faire une exception en son honneur à lui qui est plus grand que le Temple. L'argument est contestable car, en ramassant les épis, les apôtres ne le font ni pour le Temple ni pour Jésus. Jésus doit donc vouloir dire autre chose : 
Les sacrifices au Temple légitimaient une exception aux prescriptions du shabbat. De son côté Jésus, en rétablissant une présence prophétique au milieu de son peuple ["Le royaume de Dieu s'est approché de vous" (Mt 12,28)] et en manifestant le pardon du Père ["Tes péchés sont pardonnés, dit-il au paralytique" (Mc 2,5) ou "Tes péchés sont remis" (Lc 7,48)] remplit à sa manière le rôle du Temple; et de manière plus grande encore pour ceux qui le croient.
(12,7)  Et si vous aviez compris ce que signifie : C'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice, vous n'auriez pas condamné des gens qui sont sans faute. Le prophète (Os 6,6) avait déjà annoncé la priorité de l'Amour sur les sacrifices, et on attendait la réalisation de ce primat de l'Amour pour les temps eschatologiques. Ce sont ces temps que Jésus annoncent comme étant arrivés.  Les pharisiens ne voient pas qu'avec le pardon du Père apporté par Jésus, les temps eschatologiques ont fait irruption dans le temps. Ce pardon passe par sa présence ; Jésus est alors plus important que le Temple. Jésus est venu apporter "la miséricorde qui est plus grande que les sacrifices". Les prophètes déjà le disaient (Os 6,6). Bien plus, Jésus entend, par sa venue, restaurer la relation avec le Père. Les juifs du courant officiel n'admettaient pas qu'un péché pût briser la relation avec le Père et les péchés ordinaires trouvaient leur pardon dans le temple. Dans le courant apocalyptique par contre, on pensait que la relation à Dieu avait été rompue si profondément par le péché que le Temple n'y pouvait pas remédier à lui seul, sans une nouvelle irruption de la miséricorde apportée par un prophète. Si donc Jésus venait apporter le pardon d'un péché trop "radical" pour trouver sa rédemption dans le Temple, on pouvait espérer que ce pardon remettrait le monde dans la beauté qu'il avait lors de sa création en (Gn 1). Dieu s'était extasié sur sa beauté et s'était reposé, instituant le premier shabbat (Gn 2,1-3). Si donc Jésus, en apportant le pardon du Père, restaurait le monde dans sa bonté originelle, il partageait avec le Père la maîtrise sur le shabbat.  Jésus était donc maître du shabbat en même temps qu'il guérissait le monde de son péché. Ses disciples sont donc excusés de faire de ce shabbat un "oneg shabbat/délice de shabbat" comme il était à l'origine quand Dieu disait que tout était "bon".

(12,8)  Car le Fils de l'homme est maître du sabbat."
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(+1) Ce qui peut se dire dans la catéchèse de Matthieu pouvait difficilement se prêcher dans l'Eglise de Marc à une époque où le temple de Jérusalem est menacé, voire déjà détruit par les Romains. Le précédent de David et des pains de propositions jouaient le même rôle catéchétique aux yeux des Romains puisque Jésus y était célébré comme héritier de David dans son geste avec Ebiathar, l'initiateur du culte auprès du roi. Les trois Evangiles synoptiques suivront cette leçon. Jean est plus radical, il situe les "vendeurs chassés du Temple" et la phrase de Jésus "détruisez le Temple" tout au début de son Evangile. A Ephèse où il écrit, les enjeux n'étaient plus les mêmes.
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Les synoptiques ont l'argument de David, seul Matthieu a en plus, l'argument du Temple. Ceci peut s'expliquer par le fait que la supériorité de Jésus sur le Temple n'est compréhensible qu'en milieu juif. Cet argument pourra être oublié en milieu païen : Marc à Rome et Luc à Ephèse.(+1)

Jésus comme David

(12,3)  Mais il leur dit : "N'avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu'il eut faim, lui et ses compagnons ? 
(12,4)  Comment il entra dans la demeure de Dieu et comment ils mangèrent les pains d'oblation, qu'il ne lui était pas permis de manger, ni à ses compagnons, mais aux prêtres seuls ? 
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(+1)
L'argument sur le geste de David est, par contre assez inattendu car il n'est pas exact : Le grand prêtre Ebiatar, cité par (Mc 2,26), ne correspond pas au héros de la scène biblique qui est Ahimelek (1 S 21,2-7). On voit mal comment Jésus aurait opposé aux pharisiens connaisseurs des Ecritures un argument inexact. Il aurait suscité la moquerie de leur part. L'argument ne marche qu'à une époque où on ne suit plus de près les traditions, et où l'on fait feu de tout bois pour montrer que Jésus est bien le nouveau David.
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A la différence du récit de Marc et de Luc, cet épisode rapporté par Matthieu le situe bien dans son contexte juif ancien.(+1)

 

En bref

En s'appuyant sur les Ecritures et sur la Tradition, Jésus affirme quelque chose d'inouï : Il est, lui, plus grand que le Temple (considéré comme une institution divine que Dieu aurait pensé avant la fondation du monde). Dire cela, c'est se situer à un niveau divin. Cette affirmation n'est pas arbitraire ; tout le ministère de Jésus atteste que le pardon de Dieu et sa présence sont désormais donnés gratuitement là où Jésus annonce le Royaume. Plus besoin donc de passer par le Temple, ni de faire des sacrifices !
Les temps de la miséricorde sont arrivés !
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(+1)Les chrétiens de Rome n'ont pas la même connaissance des Ecritures que les juifs de Palestine. La citation erronée du livre de Samuel peut passer inaperçue à des yeux non experts ; il s'ensuit que le texte de Marc ne donne pas les appuis corrects qui expriment l'autorité de Jésus vis-à-vis du Temple et de la Torah.
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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