Verset(s) de la Bible Is 52,13-53,12

Ce quatrième chant, appelé le chant du serviteur souffrant, conclut presque le livre du 2° Isaïe

Lorsque des chrétiens lisent ce texte, ils ne peuvent s'empêcher d'y voir Jésus dans sa passion. Pourtant ce texte a été écrit bien avant Jésus. 

Dans quel contexte ce texte est-il né ?
Quel est ce mystérieux serviteur dont les souffrances rachètent les fautes de son peuple ? 
 

Le serviteur souffrant - quatrième chant

(52,13)  Voici que mon serviteur prospérera, il grandira, s'élèvera, sera placé très haut.
 
(53,2)  Comme un surgeon il a grandi devant lui, comme une racine en terre aride ; sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits ;
(53,3)  objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions aucun cas.
(53,4)  Or ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié...
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour le texte biblique complet de Is 53
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
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Le 2° Isaïe, si on regarde sa structure globale, est divisé en deux parties : la première (Ch. 40 à 48) est située en terre de Babylone juste avant que celle-ci soit conquise pacifiquement par Cyrus (ils n'ont pas vécu les derniers jours de l'Exil car ils dépeignent la prise de Babylone de manière violente alors qu'elle s'est faite pacifiquement). La seconde partie (Is 49-55) est située à Jérusalem après le retour de l'Exil. Le serviteur est alors perçu soit comme le peuple d'Israël, soit comme l'héritier de la couronne davidique. Nous commentons brièvement la figure du "serviteur" dans la première partie, pour mieux comprendre ce qu'il devient dans la deuxième. 

Is 40 à 48 - Le serviteur découvre comme seul Dieu non la lumière (Mazda) mais l'Amour dans l'Alliance

(Is 41,8-12)  Mais toi Israël mon serviteur... toi que j'ai tenu depuis les extrémités de la terre... toi à qui j'ai dit : tu es mon serviteur, je t'ai choisi et non pas rejeté. Ne crains pas car je suis avec toi... Je te soutiens par ma droite qui fait justice... Ils seront comme rien, comme néant, les gens en guerre avec toi. Le serviteur désigne ici le groupe des exilés.

(Is 42,1-6)  Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu que j'ai moi-même en faveur, j'ai mis mon esprit sur lui... Lui ne s'étiolera pas, lui ne ploiera pas, jusqu'à ce qu'il ait imposé sur la terre le jugement... C'est moi YHWH, je t'ai tenu par la main, je t'ai mis en réserve et t'ai destiné à être l'alliance du peuple. Le titre de serviteur pourrait convenir au futur roi ou même à Cyrus dans la mesure où il accomplit le plan de Dieu en permettant aux exilés, comme il en avait coutume,  de rentrer chez eux.

(Is 42,19-25)  Qui était aveugle sinon mon serviteur... Qui était sourd comme le serviteur de YHWH ?... Ils étaient voués au pillage et nul ne les délivrait... alors il a déversé sur Israël la fureur de sa colère. Le serviteur est ici le peuple pécheur que Dieu a puni pour sa faute.

(Is 43,10-12)  Mon serviteur, c'est vous que j'ai choisis, afin que vous puissiez comprendre avoir foi en moi... Avant moi ne fut donné aucun dieu et après moi, il n'en existera pas... En dehors de moi pas de sauveur, moi qui ai annoncé et donné le salut...  Le serviteur est ici le peuple des exilés découvrant le monothéisme de l'amour face au monothéisme de la lumière professé par Cyrus. On pourra consulter ici (Is 45,6-7).

(Is 44,1-3)  Ecoute Jacob mon serviteur... Je répandrai mon esprit sur ta descendance. Le serviteur est encore ici Jacob, le père des tribus et du peuple en exil, dans sa mission future de porter sa découverte à tout le peuple.

(Is 44,21)  Israël, tu es mon serviteur, je t'ai façonné comme serviteur pour moi.  Même sens que ci-dessus.

(Is 44,26) J'accomplis la parole de mon serviteur... Je dis pour Jérusalem : qu'elle soit habitée. Le serviteur semble bien ici être le futur roi de Jérusalem. 

(Is 45,1)  Ainsi parle YHWH à son messie, à Cyrus que je tiens par sa main droite... C'est à cause de mon serviteur Jacob... que je t'ai appelé par ton nom. Je t'ai qualifié sans que  tu me connaisses.  Le Messie est Cyrus, mais le serviteur, c'est encore une fois Jacob.

(Is 48,20)  YHWH a racheté son serviteur Jacob.
La seconde partie : Is 49 à 55 traite des problèmes des rapatriés sur leur terre de Sion.
 
Ceux-ci sont de deux ordres : 

1) Comment sont perçus par les gens restés au pays ceux qui sont partis en exil et étaient donc pécheurs.

2) Que sont devenues pour les rapatriés les espérances de restauration d'un Temple et d'une royauté, alors que la reconstruction du temple s'est accompagnée de la mort du gouverneur Zorobabel. 

Si l'on regarde la structure d'Isaïe 40-55 (2° Isaïe), on remarque que notre chapitre sur le "serviteur souffrant" occupe le centre de cette seconde partie consacrée au retour à Sion.

YHWH parle des rapatriés humiliés et maintenant objet d'incompréhension

(Is 52,13)  Voici que mon serviteur prospérera, il grandira, s'élèvera, sera placé très haut. De 52,13 à 52,15, c'est YHWH qui parle. Dans le texte hébraïque, Il parle de son serviteur à la troisième personne. Dans le texte de la septante (LXX), il parle à son serviteur interpellé à la seconde personne. Depuis longtemps, la question se pose : qui est ce serviteur ? Si on en croit (Is 42,1) ou (Is 44,26), ce pourrait être le roi pressenti par les rapatriés. Et YHWH s'adresserait à lui à la deuxième personne (dans la LXX). Mais on sait que si le gouverneur Zorobabel a présidé aux travaux de restauration du Temple (Za 4,6-10), il ne leur a pas survécu (Za 12,9-14) et Israël est devenu une théocratie (Za 3,1-7). Le serviteur devient alors le peuple dont on parle à la troisième personne comme dans le texte massorétique.
Quand on compare avec les Ch. 40 à 48, dans la première partie du livre d'Isaïe, le serviteur désigne aussi souvent le peuple pécheur et puni par Dieu mais qui va être délivré par lui. Pour les gens qui n'avaient pas été en Exil et n'avaient pas fait la découverte du monothéisme face à Mazda, les rapatriés étaient des gens qui avaient été punis et étaient d'autant plus insupportables qu'ils apportaient avec eux une nouvelle manière de percevoir Dieu. La communauté des rapatriés avec leur espérance de restauration non seulement du Temple mais de la dynastie a du être persécutée et être ce "serviteur méprisé" chez lui, prenant le relais du "serviteur méprisé" qu'ils avaient été en Exil avant l'arrivée de Cyrus. L'image du "serviteur souffrant" va jouer sur ces deux symbolismes d'un retour espéré mais déçu du "serviteur" David et d'un peuple "serviteur" souffrant du mépris des frères. On pourra lire la suite sur ces deux registres.
 
(Is 52,14)  De même que des multitudes avaient été saisies d'épouvante à sa vue, - car il n'avait plus figure humaine, et son apparence n'était plus celle d'un homme -
(Is 52,15)  de même des multitudes de nations seront dans la stupéfaction, devant lui, des rois resteront bouche close, pour avoir vu ce qui ne leur avait pas été raconté, pour avoir appris ce qu'ils n'avaient pas entendu dire.  Le retour des rapatriés s'est fait sans gloire et sous le mépris de ceux qui avaient été épargnés et se trouvaient à la tête d'une restauration financée par Cyrus. On retrouve le même écho en (Za 3) et (Za 12).
En (Is 52,13-15), c'est Dieu qui parlait. En (Is 53,1-6) c'est la foule qui parle, et elle parle en "nous". Elle se voit comme d'un collectif méprisé parce que revenant d'Exil et donc pécheur, mais qui pourtant est en passe d'être reconnu comme rédempteur. On peut y reconnaître la théorie du bouc émissaire de René Girard. Après que la mort du bouc émissaire ait calmé les rivalités - ici entre les rapatriés de Babylone et les épargnés restés au pays - il est porté aux nues et sacralisé. Cela peut convenir à Zorobabel (Za 3) ou un autre personnage pleuré par (Za 12) ou encore à Joseph martyrisé par l'épouse de Potiphar (Gn 39) et devenu rédempteur de ses frères venus le rejoindre en Egypte (mais cette dernière relecture du récit de Joseph reconnu par ses frères, doit être plus tardive). 

Le bouc émissaire devenu rédempteur

(53,1)  Qui a cru ce que nous entendions dire, et le bras de Yahvé, à qui s'est-il révélé ? Ce n'est plus YHWH qui parle mais tout un collectif en "nous" (en gras dans notre texte traduit) qui parle au nom des gens du pays et qui regarde comme un défi à leur bonne conscience, les rapatriés méprisés avec leur ambition de rétablir un roi et le choix de leur monothéisme d'Alliance, opposé à celui de Cyrus, leur vainqueur, leur sauveur et leur maître. Si bien que Zorobabel (ou un autre porteur de l'espérance dynastique) en même temps que les rapatriés sont maintenant inclus ensemble dans l'image du "serviteur souffrant".

(53,2)  Comme un surgeon il a grandi devant lui, comme une racine en terre aride ; sans beauté ni éclat pour attirer nos regards, et sans apparence qui nous eût séduits ;
(53,3)  objet de mépris, abandonné des hommes, homme de douleur, familier de la souffrance, comme quelqu'un devant qui on se voile la face, méprisé, nous n'en faisions aucun cas.  Et pourtant cette communauté humiliée, par sa foi et son humilité silencieuse commence à être perçue par ceux que l'exil a épargnés et sont restés au pays comme porteuse de rédemption.

(53,4)  Or ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous le considérions comme puni, frappé par Dieu et humilié.
(53,5)  Mais lui, il a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes. Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui, et dans ses blessures nous trouvons la guérison.
(53,6)  Tous, comme des moutons, nous étions errants, chacun suivant son propre chemin, et Yahvé a fait retomber sur lui nos fautes à tous. On retrouve ici le thème bien étudié par René Girard du bouc émissaire accusé d'être à l'origine de la violence mimétique entre communautés rivales et mis sur les autels dès lors que sa mort a amené la paix
L'image du "serviteur souffrant" a pu convenir aussi plus tard (après -167) à un martyr.  Que ce soit la mort de Juda Mattathias (1 M 9) ou tout autre martyr. Ce serait dans ce cadre que la figure d'Isaïe 53 serait devenue celle d'un martyr rédempteur ayant rejoint le fils de l'homme céleste dans sa remontée en gloire (Dn 7). C'est dans ce cadre qu'il faut relire toutes les figures d'Isaïe 53 qui sont devenues dans le judaïsme apocalyptique l'espérance d'un retour de David comme rédempteur : le Messie d'Ephraïm (Joseph) et l'application targumique d'Isaïe 53 au Messie attendu. 

Le martyr rédempteur

(53,7)  Maltraité, il s'humiliait, il n'ouvrait pas la bouche, comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, comme devant les tondeurs une brebis muette, il n'ouvrait pas la bouche.
(53,8)  Par contrainte et jugement il a été saisi. Parmi ses contemporains, qui s'est inquiété qu'il ait été retranché de la terre des vivants, qu'il ait été frappé pour le crime de son peuple ?  Ici l'image n'est plus celle d'un collectif méprisé puis réhabilité mais celle d'un homme qui a été saisi injustement et condamné. Il pourrait s'agir de Zorobabel ou de celui auquel il est fait écho dans (Za 12) ou encore de tout autre martyr pleuré par les fidèles de l'apocalyptique non reconnus par le courant officiel. Pourquoi pas celui que l'on pleure dans (Za 12). Ce qui est évident c'est que ce cadre des martyres a influencé l'image du "serviteur souffrant" d'Isaïe.

(53,9)  On lui a donné un sépulcre avec les impies Ceci peut encore viser le collectif des exilés ou même le roi Joyakin avec lequel se termine le livre des rois. Mais ce peut être, dans une relecture plus tardive, tous les prétendants à la succession royale. Après l'époque ou le "serviteur" a pris en relais l'image du martyr, ce peut être aussi Onias III, le dernier prêtre Sadoquite mort en Exil vers (-152) et favorable aux Esséniens.et sa tombe est avec le riche, bien qu'il n'ait pas commis de violence et qu'il n'y ait pas eu de tromperie dans sa bouche.
(53,10)  Yahvé a voulu l'écraser par la souffrance; s'il offre sa vie en sacrifice expiatoire, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et par lui la volonté de Yahvé s'accomplira. La mort de cet homme injustement condamné est maintenant rédemptrice. Cela oriente vers une datation de la relecture dans un milieu d'écriture connaissant la Résurrection, c'est-à-dire après la persécution de (-167). Le texte rejoindrait alors la perspective de (Dn 7) dans laquelle le martyr rejoint le "fils de l'homme" jugeant sur les nuées du ciel et intronisé avec le vieillard. 
On retrouve Dieu qui parle au terme de ce poème d'Is 53, comme il parlait au début en (Is 52,13-15). Ce discours de YHWH peut donc être considéré comme le cadre de l'ensemble. En cas de clivage dans la foi, c'est toujours le cadre qu'il importe de modifier par quelques petites retouches. C'est le travail effectué par la LXX au 2ème siècle avant JC. Nous avons vu que le cadre en (Is 52,13-15) présentait Dieu s'adressant au "serviteur" à la 2° personne renouant ainsi avec le Serviteur d'Isaïe (Is 42) considéré comme l'espoir d'un nouveau David

Dieu parle à nouveau : le cadre messianique d'Is 53

(53,11)  (TM)  A la suite de l'épreuve endurée par son âme, il verra (ra'ah) ou vivra (rawah).  Par sa connaissance (ou reconnu juste) mon serviteur juste, justifiera des multitudes et il portera leurs fautes. 
(53,12)  C'est pourquoi il aura sa part parmi les multitudes, et avec les puissants il partagera le butin, parce qu'il s'est livré lui-même à la mort et qu'il a été compté parmi les criminels, alors qu'il portait le péché des multitudes et qu'il intercédait pour les criminels. Quelle que soit la difficulté du texte (et cela se ressent dans les multiples traductions qui en sont faites), la finale (v. 11 et 12) suppose la théologie de la Résurrection si on traduit par "il vivra" et, au minimum, celle de la souffrance rédemptrice si on traduit par "il verra" et le verset qui suit. Mais il n'y a pas d'objet à cette vision. De même que dans le discours de Dieu en tête de ce cadre, le "serviteur" pouvait représenter le "roi" espéré, de même dans la finale du cadre, cette même Parole de Dieu pourrait viser l'héritier davidique. Ce que l'hébreu laisse entendre, le grec de la LXX va le préciser. 
Après la persécution d'Antiochus Epiphane le "Serviteur" d'Isaïe devient le Messie attendu qui peut assurer comme les martyrs le lien entre le ciel et la terre. Dans notre texte final qui sert de seconde partie du cadre, la modification est encore plus explicite et permet de dater la correction de la LXX de la période qui suit la persécution d'Antiochus Epiphane.
(53,11) (LXX) A la suite de l'épreuve endurée par son âme, il lui montrera la lumière et sera comblé. Par sa connaissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes en s'accablant lui-même de leurs fautes. Martin Hengel a montré que cette version des LXX  "pourrait déjà avoir lu ce passage d'Isaïe comme se référant au Messie".  Boyarin "Le Christ Juif", page 159, note 1.

Précisons quelques arguments : 
On vient de noter que le "il vivra", suggérant la Résurrection du juste, pouvait aussi se lire "il verra". Mais l'objet de cette vision n'était pas exprimée en hébreu. La traduction de la LXX complète ce qui manque et traduit "il verra la lumière". 
On retrouve ainsi la résurrection telle que décrite en (Dn 12,2), où elle est une illumination apocalyptique. Le pas que l'on n'osait pas franchir à cause de l'ambiguïté de l'hébreu est franchi au II° s. avant J.C par la LXX. Les membres de la communauté de Qumran dans la marginalité qui les excluait du Temple, vivaient dans la communion des anges et se disaient "les Fils de lumière". Ils attendaient le retour du Messie d'Israël, c'est-à-dire le successeur de David. Tout est ainsi prêt pour que le "serviteur", dans le discours de Dieu qui encadre le poème, soit le "successeur de David". Mais il y a plus : dans la première partie du cadre (52,13-15)(LXX), quand Dieu parlait du "serviteur" il s'adressait à lui à la deuxième personne et non à la troisième comme dans le texte massorétique. Si dans la Parole de Dieu que l'on retrouve en final, le serviteur est toujours celui à qui Dieu s'adressait à la seconde personne, alors rien n'empêche d'y voir le "fils de David" intronisé à la droite de Dieu dans le (Ps 110) comme il l'est en (Dn 7,13s), et à qui YHWH dit : "tu es mon Fils, aujourd'hui je t'ai engendré (intronisé)". Le Messie attendu rejoint alors dans son martyre le fils de l'homme auprès de Dieu tel qu'annoncé par (Dn 7,13s) et qui fait en sa personne la synthèse avec les martyrs du peuple d'Israël (Dn 7,18) (Dn 7,22). On retrouve la même description du "fils de l'homme" dans les paraboles d'Hénoch à la même époque. Toutes ces préparations christologiques appartenaient déjà au Judaïsme apocalyptique du II°s avant la venue de Jésus et il n'y a plus aucune raison de les refuser à la foi des apôtres avant la Pâque de Jésus. 
On pourra lire à ce niveau les p.156-158 de  Boyarin "Le Christ Juif"
(Ac 8,32-35) : Philippe rencontre un éthiopien qui est en train de lire ce quatrième chant du serviteur. 

De qui le prophète écrit-il cela ?

Philippe explique à l'eunuque éthiopien que ce texte annonce mystérieusement Celui qui devait venir, le messie, un messie souffrant... Ce Messie, c'est Jésus le Nazôréen, qui a été crucifié, mais qui s'est relevé d'entre les morts et qui est vivant. 
Ce célèbre texte du serviteur souffrant que l'Eglise chante solennellement le vendredi Saint est né en exil à Babylone vers (-538).
Il a continué de s'élaborer au fil des siècles pour devenir un texte phare. 
Il porte une théologie très riche. 

En bref : le chant du Serviteur souffrant

Le serviteur souffrant a d'abord été le petit reste exilé.
Puis, ce texte a visé la petite poignée d'exilés, disciples d'Isaïe, revenus au pays, mais tenus à l'écart et humiliés. 
Au temps des persécutions grecques, les martyrs se sont reconnus dans le serviteur souffrant, portant le péché du peuple, et dont les souffrances sont mystérieusement rédemptrices. 
Très vite les disciples de Jésus ont reconnu les traits de leur maître dans ce serviteur. Et si Jésus a été crucifié la veille d'un grand shabbat, comme le dit saint Jean, alors, il est vraiment la brebis, l'agneau immolé qui n'ouvre  pas la bouche alors même qu'il est emmené à l'abattoir.   
Une profonde théologie de la transfiguration et de la rédemption émane de ce texte dont le message garde une actualité bouleversante. 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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