Verset(s) de la Bible Ez 18

A travers ce passage d'Ezéchiel, deux théologies de la rétribution sont perceptibles : celle d'Ezéchiel qui s'oppose à celle évoquée par le dicton et qui est traditionnelle. 

Les malheurs viennent-ils de l'accumulation des péchés des ancêtres ou bien chacun paie-t-il pour ses propres péchés ?

Que penser de ces deux manières de voir les choses ?

Pour y voir plus clair, il faudra situer ces théologies dans leur contexte et regarder pourquoi Ezéchiel développe cette vision de la rétribution.

Rétribution de la faute

(18,1)  La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes : (18,2)  Qu'avez-vous à répéter ce proverbe au pays d'Israël : "Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des fils ont été agacées" ? (18,3)  Par ma vie, oracle du Seigneur Yahvé, vous n'aurez plus à répéter ce proverbe en Israël. (18,4)  Voici : toutes les vies sont à moi, aussi bien la vie du père que celle du fils, elles sont à moi. Celui qui a péché, c'est lui qui mourra. (18,5)  Quiconque est juste, pratique le droit et la justice,...
  
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Ez 18

Voir aussi (Les fondements bibliques, page 140) 
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias MEMOIRE 2  
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil ECRITURE 1  
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
Ces codes sont déjà estompés au temps Hammourabi. 

(MEMOIRE 2)
Ez 18 reprend Jr 31,29 : "Les pères ont mangé du raisin vert et les dents des fils ont été agacées". Chacun mourra pour son propre crime, tout homme qui aura mangé les raisins verts, ses propres dents seront agacées."
On peut situer ce verset dans le cadre du retour des exilés du Nord, déportés par l'Assyrie (2 R 17,24ss.

La justice devant le Dieu de l'Alliance

Ce verset montre que c'est YHWH qui préside à l'Alliance entre vainqueurs et vaincus ; c'est Lui, YHWH, qui préside à la bénédiction et à la malédiction - et non le dieu du roi vainqueur. Jusque là, la défaite signifiait dans la guerre, l'infériorité du dieu du peuple contre un autre peuple.
Au temps de Josias, le rapatriement des tribus du Nord est le signe, pour Jérémie, que c'est YHWH qui est le roi vainqueur et qui décide des rapatriements. Impossible alors d'attribuer l'échec à un péché collectif et la bénédiction à une vertu collective : si le Nord a péché avec le Baal, le rapatriement des exilés montre que la punition n'est pas collective et que chacun est puni ou gratifié par le Dieu de l'Alliance, selon sa propre conduite.
Il en va de même pour Juda, dans le Sud : si Achaz a péché en faisant alliance avec les Assyriens contre Samarie (2 R 16,10), il a dû, lui aussi, souffrir de l'invasion assyrienne, même si Jérusalem a été sauvée. D'où la nouvelle théologie de Jérémie affirmant qu'on ne peut généraliser la punition ou la bénédiction à l'ensemble d'une tribu ou d'un peuple. (+1)
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(+1)
Dans l'AT, on trouve l'affirmation que les péchés des ancêtres retombent sur la tête des fils. Ainsi, il est couramment admis que les générations suivantes paient pour les fautes des pères (Ex 20,5) (Dt 5,9). C'est aussi une croyance traditionnelle que de penser que le malheur qui s'abat injustement aujourd'hui vient des mauvaises actions ou des tares des ancêtres.
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(ECRITURE 1) 

Nous sommes dans le contexte de la première déportation à Babylone : les armées chaldéennes ont envahi le pays et le tienne sous son joug. La moindre révolte provoque les représailles ; c'est ainsi qu'en -598, l'élite du peuple est déportée à Babylone. Le prêtre Ezéchiel ferait partie de ces exilés. 

Type de Décalogue (+1)

Le juste

(Ez 18,5-9) reprend la théologie de Jérémie, mais sans la mettre en relation avec la place de YHWH-Roi ni avec l'Alliance. En effet, avec l'exil, Ezéchiel perçoit les revers de cette Alliance politico-religieuse systématisée : Josias, le juste, défait à Megiddo et peut-être même assassiné par ses soldats pro-égyptiens remet en cause la logique divine et le fait que les malheurs présents sont dû à une culpabilité collective.
Pour Ezéchiel, c'est YHWH seul qui juge et il le fait au cas par cas. YHWH est le seul arbitre, et nul n'est digne de lui demander des comptes. (+1)

(18,5)  Quiconque est juste, pratique le droit et la justice,
(18,6)  ne mange pas sur les montagnes et ne lève pas les yeux vers les ordures de la maison d'Israël, ne souille pas la femme de son prochain, ne s'approche pas d'une femme en son impureté,
(18,7)  n'opprime personne, rend le gage d'une dette, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim et couvre d'un vêtement celui qui est nu,
(18,8)  ne prête pas avec usure, ne prend pas d'intérêts, détourne sa main du mal, rend un jugement véridique entre les hommes,
(18,9)  se conduit selon mes lois et observe mes coutumes en agissant selon la vérité, un tel homme est juste, il vivra, oracle du Seigneur Yahvé. 

Ce code ainsi formulé est l'embryon de ce qui deviendra un "Décalogue" ; Déjà,
Os 4,1-3 en était une première estompe ; et avant Osée, dans le vieux code Ex 21 à 31, on trouve une formulation encore plus générale.
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(+1)
On voit ainsi le livre de Job se profiler à l'horizon : cette question de la rétribution est centrale dans le livre de Job ; pour l'un des amis de Job, le malheur vient d'un péché collectif. 
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Le fils pécheur

(18,10-13) Le fils brigand mourra.

(18,10) Mais s'il engendre un fils violent et sanguinaire qui commet une de ces fautes
(18,11)  alors que lui n'en a commis aucune, un fils qui va jusqu'à manger sur les montagnes et souiller la femme de son prochain,
(18,12)  qui opprime le pauvre et le malheureux, commet des rapines, ne rend pas le gage, lève les yeux vers les ordures, commet l'abomination,
(18,13)  prête avec usure et prend des intérêts, celui-ci ne vivra pas après avoir commis tous ces crimes abominables, il mourra et son sang sera sur lui.
.

Le fils juste du père pécheur

(18,14-20) Le fils juste vivra et le père pécheur mourra.

(18,14)  Mais si celui-ci engendre un fils qui voit tous les péchés qu'a commis son père, qui les voit sans les imiter,
(18,15)  qui ne mange pas sur les montagnes, ne lève pas les yeux vers les ordures de la maison d'Israël, ne souille pas la femme de son prochain,
(18,16)  n'opprime personne, ne prend pas de gages, ne commet pas de rapines, donne son pain à qui a faim, couvre d'un vêtement celui qui est nu,
(18,17)  détourne sa main de l'injustice, ne pratique pas l'usure et ne prend pas d'intérêts, pratique mes coutumes et se conduit selon mes lois, celui-ci ne mourra pas à cause des fautes de son père, il vivra.
(18,18)  Mais son père, puisqu'il a été violent, a commis des rapines et n'a pas bien agi au milieu de son peuple, voici qu'il mourra à cause de sa faute.
(18,19)  Et vous dites : "Pourquoi le fils ne porte-t-il pas la faute de son père ?" Mais le fils a pratiqué le droit et la justice, a observé mes lois et les a pratiquées, il doit vivre. Depuis que YHWH a pris la place du roi vainqueur dans les traités néo-assyriens, l'échec d'une guerre n'entraîne plus la mise de YHWH au dernier rang de la hiérarchie des dieux du vainqueur. Quoi qu'il arrive, c'est YHWH qui dirige. Si Israël est pécheur, c'est YHWH qui punit en se servant des ennemis pour le faire. Mais cela ne résout pas tous les problèmes : si le péché est un péché de tout Israël (comme au temps de Manassé pactisant avec l'ennemi assyrien), la punition exercée par YHWH dans la mort de Josias peut être attribuée à une punition collective. Le "fils porte la faute de son père" jusqu'à la 4° génération (Décalogue Ex 20,5 ; Dt 5,9s). Mais ceux qui rentrent de l'Exil à Babylone n'ont pas toujours compris quel péché ils portaient et leur rapatriement leur montre que Dieu fait aussi miséricorde à ceux qui l'aiment. 

Entre les deux formulations de ces décalogues qui tirent les deux leçons des successeurs de Manassé (mémoire de 4 générations dans le péché) et des successeurs de l'amour de Dieu (les générations en Exil) il y a le glissement qui s'opère avec Ezéchiel : il ne faut pas demander des comptes à YHWH dont la sagesse voit le péché de chacun. (On pourra consulter le commentaire spécifique de Ez 18,27s).
(18,20)  Celui qui a péché, c'est lui qui mourra ! Un fils ne portera pas la faute de son père ni un père la faute de son fils : au juste sera imputée sa justice et au méchant sa méchanceté. 

Le méchant converti et pardonné

(18,21-23) Converti et pardonné, il vivra.

(18,21)  Quant au méchant, s'il renonce à tous les péchés qu'il a commis, observe toutes mes lois et pratique le droit et la justice, il vivra, il ne mourra pas.
(18,22) On ne se souviendra plus de tous les crimes qu'il a commis, il vivra à cause de la justice qu'il a pratiquée.
(18,23)  Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant - oracle du Seigneur Yahvé - et non pas plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre ?

Le juste perverti

(18,24) Le juste perverti mourra.

(18,24)  Mais si le juste renonce à sa justice et commet le mal, imitant toutes les abominations que commet le méchant, vivra-t-il ? On ne se souviendra plus de toute la justice qu'il a pratiquée, mais à cause de l'infidélité dont il s'est rendu coupable et du péché qu'il a commis, il mourra. 

Dieu juste en tout cela

(18,25-29) Dieu juste en faisant cela et Israël pécheur.

(18,25)  Et vous dites : "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste." Écoutez donc, maison d'Israël : est-ce ma manière d'agir qui n'est pas juste ? N'est-ce pas votre manière d'agir qui n'est pas juste ?
(18,26) Si le juste se détourne de sa justice pour commettre le mal et meurt, c'est à cause du mal qu'il a commis qu'il meurt.
(18,27)  Et si le pécheur se détourne du péché qu'il a commis, pour pratiquer le droit et la justice, il assure sa vie. En ce qui concerne la responsabilité collective ou personnelle on se reportera au commentaire ci-dessus en (Ez 18,19). En ce qui concerne la bénédiction et la malédiction on pourra consulter le commentaire spécifique de (Ez 18,27).
(18,28) Il a choisi de se détourner de tous les crimes qu'il avait commis, il vivra, il ne mourra pas.
(18,29) Et pourtant la maison d'Israël dit : "La manière d'agir du Seigneur n'est pas juste." Est-ce ma manière d'agir qui n'est pas juste, maison d'Israël ? N'est-ce pas votre manière d'agir qui n'est pas juste ?

Appel à la conversion

(18,30-32) Revenez donc et vous vivrez.

(18,30)  C'est pourquoi je vous jugerai chacun selon sa manière d'agir, maison d'Israël, oracle du Seigneur Yahvé. Convertissez-vous et détournez-vous de tous vos crimes, qu'il n'y ait plus pour vous d'occasion de mal.
(18,31)  Débarrassez-vous de tous les crimes que vous avez commis et faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau. Pourquoi mourir, maison d'Israël ?
(18,32)  Je ne prends pas plaisir à la mort de qui que ce soit, oracle du Seigneur Yahvé. Convertissez-vous et vivez !
 
Ezéchiel, prophète et prêtre au temps de la première déportation à Babylone, voit, comme les autres prophètes, dans le malheur de l'exil, les conséquences du péché.
Mais il expose une théologie de la rétribution qui se distingue de la vision traditionnelle où les péchés des ancêtres s'accumulent sur leur descendance. Pour lui, chacun est responsable de son péché et paie pour ses propres fautes.
Dans le même temps, une autre théologie s'élabore : "deutéronomiste" qui, elle, relira l'histoire d'Israël afin de détecter les fautes des ancêtres, cause de tous malheurs de l'exil.

En bref, la rétribution chez Ezéchiel

Déjà Jérémie, au temps de Josias, avait mis en cause une vision trop collective du péché.
En affirmant que chacun paie pour ses propres fautes, Ezéchiel souligne la gravité du péché : ce n'est pas le cumul des fautes qui est cause de si grands malheurs, mais les péchés de cette génération pervertie. Autrement dit : "Ce n'est pas pour les fautes de nos pères, de nos ancêtres, des rois précédents pour lesquelles nous payons, mais pour nos propres fautes ! Nous sommes bien assez pécheurs pour être châtiés de la sorte !" De même, la justice de l'un ne peut servir au salut de l'autre ! Et la conversion de l'un ne peut rien pour son frère : à chacun d'être juste ! A chacun de se convertir !

On peut voir là une avancée de la foi, à cause de la responsabilité personnelle que le prophète met en exergue. 
Pourtant, cette théologie est incompatible avec la foi en Jésus Christ puisque la mort du seul Juste Jésus est rédemption de tous, y compris des générations précédentes (Rm 5). (+1)

Dans la foi chrétienne (catholique et orthodoxe en tous cas), il y a une interdépendance dans le salut ; c'est ce que l'on appelle "la communion des saints" (+2) : la bonté, l'amour d'un seul membre du peuple peut soulever le monde et donc, a fortiori, servir au salut des frères... De même, lorsqu'un membre du corps souffre, ou tombe, tout le corps en pâtit.
C'est le sens de la prière d'intercession qui puise dans la foi en la puissance de l'amour divin. Mais en revanche et à la différence de certaines théologies, ni l'amour, ni le salut, ni le pardon ne s'achète, ni ne se contrôle : Dieu seul peut juger en toute justice.
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(+1)
La vision chrétienne de la rétribution, de la conversion et du salut s'enracine dans la théologie du 2° Isaïe (Is 53), dans celle des martyrs (2 M 7) et (Dn 12) : les membres du peuple sont solidaires dans le péché, comme dans le salut.
(+2)
La question des indulgences y est liée.
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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