Verset(s) de la Bible Mc 2,1-12

La guérison du paralytique est un récit bien connu ; on le trouve chez chacun des synoptiques (Mt 9,1-8) et (Lc 5,17-26), mais aussi chez Jean au chapitre 5. 

Les évangélistes ont rapporté l'événement non seulement à cause de l'extraordinaire de la guérison, mais pour mettre en lumière l'identité de Jésus qui se laisse percevoir à travers ce qui s'est passé. 

C'est l'objet du commentaire qui suit que de faire entrer dans cette perception, mais aussi du commentaire de (Jn 5). 

La guérison du paralytique

(2,3)  On vient lui apporter un paralytique, soulevé par quatre hommes.
(2,4)  Et comme ils ne pouvaient pas le lui présenter à cause de la foule, ils découvrirent la terrasse au-dessus de l'endroit où il se trouvait et, ayant creusé un trou, ils font descendre le grabat où gisait le paralytique.
(2,5)  Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : "Mon enfant, tes péchés sont remis"... 
Bible de Jérusalem (Ed. 1975) 

Pour voir le texte biblique complet de Mc 2,1-12

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 314 et 315)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance MEMOIRE 1  
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde MÉMOIRE 2  
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie ECRITURE 1  
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
Dieu perçu comme amour tout puissant dans la ligne des guérisons d'Elie et Elisée.  

Les boiteux marchent

(Is 35,4)  Voyez, c'est votre Dieu... C'est lui qui vient vous sauver. 
(Is 35,5)  Alors les yeux des aveugles se dessilleront, les oreilles des sourds s'ouvriront.
(Is 35,6)  Alors le boiteux bondira comme un cerf et la langue du muet criera de joie.
Ce texte est une relecture tardive postexilique, insérée dans le 1° Isaïe pour faire inclusion avec le 3° Isaïe.
On comparera aussi avec "La règle annexe de la communauté" (2,4-9), dans les textes de Qumran, où les boiteux sont exclus de la participation aux repas sacrés de la congrégation de même qu'ils étaient empêchés d'entrer dans le Temple de Jérusalem.

Un des nombreux miracles de Jésus.

Le paralytique pardonné : blasphème ou premier pardon ?

(2,1)  Etant entré de nouveau à Capharnaüm, 
(2,2)  beaucoup se rassemblèrent, de sorte qu'il n'y avait plus de place même devant la porte et il leur disait la parole.
(2,3)  Et on vint portant vers lui un paralytique soulevé par quatre hommes.
(2,4)  Et comme ils ne pouvaient pas le lui apporter... (ils défont le toit).
(2,5)  Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Enfant, tes péchés sont remis.  A Qumran, dans la "Prière de Nabonide Fr." (1-4), on a aussi une rémission des péchés avant le miracle. La phrase : "tes péchés sont remis" est un passif divin, c'est-à-dire une manière de désigner Dieu sans le nommer en mettant le verbe au passif. Il faut donc comprendre : "Dieu t'a remis tes péchés". Et le signe que les péchés ont été remis par Dieu est le fait de la foi manifestée par le paralysé et que Jésus met en valeur. On a clairement cet usage du passif divin désignant le pardon donné par Dieu, en (Lc 7,47-50) : Le pardon est manifesté par le fait que la femme a entouré Jésus de gestes de tendresse. Le geste de Jésus chez Luc suscite la  même confusion chez les spectateurs que chez les scribes de notre récit. Il est donc évident que Jésus ne dit pas : "Je te remets tes péchés." Il n'y a donc pas lieu d'accuser Jésus de "blasphème", d'autant plus que le terme "blasphème" ne convient qu'à un acte qui méprise soit la Torah, soit le Temple. Les gens de Qumran étaient souvent accusés de "blasphème", à cause de leur mépris du Temple qu'ils supplantaient par leurs repas sacrés et leurs baptêmes. Jésus disait donc simplement, au vu de la foi du paralytique qui en attestait : "Dieu t'a remis tes péchés". Jésus vient annoncer le pardon de Dieu et la foi du paralysé en atteste.

(2,6)  Or quelques-uns des scribes étaient là, discutant en eux-mêmes.  Il est tout à fait possible que des scribes, s'ils acceptent le courant apocalyptique qui croit au retour d'un prophète, aient compris cette proclamation du pardon de Dieu faite par son prophète. S'ils s'en offusquent, c'est qu'ils ne sont pas dans ce courant apocalyptique et voient, dans l'annonce du pardon de Dieu par le prophète, un mépris du Temple. Ils lui adressent donc une accusation de "blasphème" comme ils le faisaient vis-à-vis des gens de Qumran qui refusaient le Temple comme impur (4QMMT). Ce miracle jouerait alors chez Marc le rôle que joue les "vendeurs chassés du Temple" chez Jean (Jn 2,13-20). Les scribes font la remarque : "Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul !" On ne peut pas leur reprocher cette remarque. Jésus est donc bien le prophète de ce pardon de Dieu, le paralytique le croit et eux le refusent.

(2,8)  Et aussitôt Jésus leur dit : Pourquoi discutez-vous ainsi dans vos cœurs ? Quel est le plus facile, de dire au paralytique : tes péchés sont remis (par Dieu) ou de dire : lève-toi prends ton grabat et marche. 
(2,9)  Il dit au paralytique : Prends ton grabat et va-t-en dans ta maison. Et aussitôt, prenant son grabat il sortit devant tout le monde se sorte que tous étaient stupéfaits et glorifiaient Dieu disant : Jamais nous n'avons rien vu de pareil. Le miracle de Jésus vient authentifier son annonce prophétique du pardon du Père. Ce pardon rouvre le temps où l'amour de Dieu, avant le péché, transfigurait l'homme à l'image de Dieu et le rendait incorruptible (Sg 2,23s) Il réalise aussi l'espérance d'Isaïe sur le boiteux qui bondit (Is 35,6).

(2,9)  Lève-toi(égeirè/ressuscite)... Or pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a pouvoir de remettre les péchés (Mt/Lc sur terre), il dit au paralytique : "Lève-toi" et il se leva aussitôt. Dans le cadre de l'apocalyptique il était possible de penser que le "fils de l'homme" de (Dn 7,13) qui représentait, auprès de Dieu et siégeant avec lui, l'homme dans sa condition initiale avant le péché, puisse prendre la défense de l'homme en venant le visiter "sur terre" (Hénoch : le Fils de l'homme dans "les similitudes" (Boyarin RDO, p.93-111). Ce "Fils de l'homme" divin avait été rejoint par les martyrs de la grande persécution de (-167) (7,27), il pouvait faire le lien entre le ciel et "la terre". La guérison du paralytique vient sanctionner sa foi et montrer que le "fils de l'homme" divin, lors de sa visite, peut avoir "sur terre" la puissance qu'il partage avec le Père et pardonner lui-même les péchés. Il n'est donc pas certain que cette finale soit postpascale, comme nous allons en faire l'hypothèse dans la relecture suivante. Jésus a pu très bien vouloir en partager le mystère avec ses contemporains.
(MEMOIRE 2)
La venue de Jésus et sa prédication comme premier pardon
(2,5)  Et Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : Enfant, tes péchés sont remis.
Ces déclarations de pardon du vivant de Jésus scandalisent ceux qui, refusant la blessure originelle, croient n'avoir à vivre le pardon que dans le Temple lors de la fête du Kippur. Ceux qui, par contre, pensent que la rupture d'amour entre Dieu et l'homme est à l'origine d'une cassure que seule une nouvelle initiative de Dieu peut pardonner, comprennent que la simple venue de Jésus est déjà un pardon, puisqu'elle renoue le lien, blessé par le péché, entre Dieu et les hommes. Cette venue est déjà un pardon bien avant que Jésus ait aussi pardonné au refus que les prêtres ont fait de sa venue, lequel le conduira à la croix. On en trouve un très bel exemple en (Lc 7,36-50).
On comprend alors pourquoi cet épisode est placé par Mc au début de l'Evangile. Il forme avec l'exorcisme du démoniaque le cadre qui entoure les premiers miracles de Jésus. Ainsi sa venue exorcise-t-elle le Satan, puis manifeste par les miracles nombreux que la création nouvelle est à l’œuvre et, finalement, elle dit aussi le pardon accordé à la foi, lequel pardon renoue le lien originel brisé entre Dieu et les hommes. La foi en une nouvelle irruption de Dieu dans l'histoire présente des hommes est constitutive de la foi apocalyptique
L'Eglise de Rome relit avec Marc le miracle comme anticipation de la passion de Jésus. 

Anticipation de la pâque de Jésus dans la relecture de Marc

(2,7)  Pourquoi celui-ci parle-t-il ainsi, il blasphème ! Le pardon du Père donné par Jésus serait relu par Marc comme anticipation de la passion dans laquelle Jésus prie son Père de pardonner à ses bourreaux "qui ne savent pas ce qu'ils font(Lc 23,34). Paul en (Rm 3,25) verrait dans la passion le sacrifice, le Kippour parfait. Et ce premier miracle au début de la mission de Jésus, serait mis en relation avec les "vendeurs chassés du Temple" au début de l’Évangile de Jean. Jésus y montrerait le pardon du Père qui anticipe le sien. Ces deux pardons associés font que le Temple n'est plus indispensable pour recevoir le pardon de Dieu. C'est cette manière de supplanter la Torah ou le Temple qui était considérée exclusivement comme blasphème (et non le fait de se dire fils de Dieu qui était un titre très partagé). Marc anticiperait ici le pardon du Fils obtenu par Jésus sur la croix après le procès devant le sanhédrin qui rappelle son geste au Temple et l'accuse de "blasphème". Marc assimilerait dans ce cas le pardon de la croix au pardon du Père donné par Jésus dans sa prédication.  

(2,9)  Lève-toi (égeirè/ressuscite)... Or pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a pouvoir de remettre les péchés (Mt/Lc sur terre), il dit au paralytique : "Lève-toi" et il se leva aussitôt.
Tous ces termes de résurrection signalent la relecture post-pascale du miracle. Le "fils de l'homme" qui a le "pouvoir" fait penser au Fils de l'homme de (Dn 7,13) qui est remonté auprès du vieillard et va juger ceux qui l'ont condamné. Matthieu et Luc dans la source Q montrent bien le sens de cette catéchèse en ajoutant "sur terre" ce qui montrerait que quand on écrit Jésus est déjà remonté vers son Père et que c'est dans le pardon donné sur la croix qu'il peut personnellement remettre les péchés sur terre. Ainsi le miracle du paralytique introduirait-il au mystère des deux pardons du Père (que Jésus annonce) et le pardon du Fils qui sera donné sur la croix et ouvrira l'ère de la résurrection. Mais Jésus a très bien pu faire lui-même cette assimilation en se présentant comme le "Fils de l'homme" "sur terre", comme nous l'avons dit plus haut.
Ce récit peut être lu à différents niveaux et chacun des niveaux de lecture met en lumière un aspect de l'identité de Jésus. 

En bref : la guérison du paralytique

Jésus, en guérissant les boiteux et les aveugles accomplit l'espérance d'(Is 32). Il est alors perçu comme prophète des temps nouveaux attendus par toute une partie du peuple juif de l'époque ; peut-être est-il ce prophète oint annoncé en (Is 61) ?  Peut-être  est-il le nouvel Elie/Elisée : prophète réputé pour ses signes et ses prodiges (Si 48), prophète attendu comme celui qui précède le jour du Seigneur (Ml 3) pour une œuvre de réconciliation. 
Le commentaire met en lumière que la question du blasphème est centrale. En effet, le pardon des péchés est réservé à Dieu et passe par le Temple. Jésus, à travers tout son ministère, touche précisément à la question du pardon des péchés et donc du Temple... Peu à peu il apparaît pour les uns comme le nouveau Temple, ou le nouveau Pardon de Dieu... Pour les autres, il est "blasphème" parce que par ses attitudes et paroles, par les signes qu'il donne, il semble mettre en cause le Temple. 
Après Pâques, les disciples de Jésus lui reconnaissent ce pouvoir de remettre les péchés ; et si on en croit (Jn 20), ce pouvoir, Jésus, lorsqu'il est relevé d'entre les morts, il le transmet à ses apôtres. L'Envoyé du Père transmet son pouvoir de pardonner les péchés à ses envoyés (apôtres). 
Nous avons là les racines du sacrement de l'ordre et du sacrement du pardon. 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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