Verset(s) de la Bible Gn 22

Voici le célèbre texte appelé "le sacrifice d'Isaac" ou "la ligature d'Isaac". 
Ce récit où le patriarche Abraham s'apprête à sacrifier son fils Isaac sur une montagne évoque tout un tas de réalités : le sacrifice/offrande du premier-né, la demande incompréhensible de Dieu, l'obéissance d'Abraham, l'unique fils de la promesse offert en sacrifice, le bélier qui au dernier moment va le remplacer...
Il n'est pas étonnant que ce texte fasse référence pour le judaïsme, le christianisme et l'islam, même si, chaque religion l'interprètera à la lumière de sa foi. 

Mais d'où vient ce récit ?
Quel en est l'arrière-fond religieux ?
De fait, l'oblation d'un fils aîné par son père était envisageable, parfois même préconisé, dans l'Orient ancien. 
Quel sens avait ce rite ?   
Comment sera-t-il interprété par la suite ? 

Voir le tableau ci-dessous pour les commentaires.

Le sacrifice d'Isaac

(22,1)  Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit : "Abraham ! Abraham !" Il répondit : "Me voici !"
(22,2)  Dieu dit : "Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai."
(22,3)  Abraham se leva tôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois de l'holocauste et se mit en route pour l'endroit que Dieu lui avait dit...
(22,6)  Abraham prit le bois de l'holocauste et le chargea sur son fils Isaac, lui-même prit en mains le feu et le couteau et ils s'en allèrent tous deux ensemble...
Bible de Jérusalem (Ed. 1975)

Pour voir le texte biblique complet de Gn 22
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines MEMOIRE 1  
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés ECRITURE 1  
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple RELECTURE 1  
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV RELECTURE 2  
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem RELECTURE 3  
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse    
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(MEMOIRE 1)
Rituels cananéens.

Sacrifices au Moloch

(22,2)  Prends ton fils, ton unique, Isaac que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l'offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t'indiquerai.  Ce texte est une réminiscence des anciens rituels d'offrande d'enfants au Moloch pour faire revenir le printemps. On en retrouve le souvenir en (2 R 16,3) (Achab passe son fils par le feu : cf. note dans la TOB) ; (2 R 21,6) ; (2 R 23,10) ; (Mi 6,7) ; (Jr 7,30-31). Toutes ces références pointent vers la période qui suit une première alliance entre Achab au Nord envahi par le culte de Baal et le Sud qui lui résiste et luttera encore contre cette pratique au temps de Josias (Dt 12,31) ; (Dt 18,10). 
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Pratique d'origine de Phénicie, les sacrifices d'enfants sont couramment pratiqués, comme dans de nombreuses religions d'ailleurs. C'est un rite magique. 
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(ECRITURE 1)
Résistance du Sud.

Le Sud résiste au Baal

(22,9-13)  N'étends pas la main sur le jeune homme... et voici qu'un bélier était pris par les cornes dans le fourré. Il alla le prendre pour l'offrir en holocauste à la place de son fils. La montagne garde dans la tradition le nom de "YHWH pourvoira" (Gn 22,14). Ceci indique une tradition ancienne. On est dans le contexte des luttes du Sud contre le culte de Baal qui amènera Achaz à préférer l'alliance avec l'Assyrie pour éviter l'alliance Syro-Ephraïmite avec le frère du Nord.

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avec la réforme d'Ezéchias, puis celle de Josias, des distances fortes se prennent vis à vis de ces cultes qui offrent les enfants au Moloch.  
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(RELECTURE 1)
Après l'Exil, une relecture très tardive de la carte des peuples.

La relecture Sacerdotale

Après l'Exil et la découverte du monothéisme, le Sacerdotal remet la carte des peuples sous l'action créatrice du seul Dieu de toute la terre (Gn 1) Il inscrit tous les peuples dans sa généalogie (cf. Généalogies sacerdotales PPT 1 122.123). Mais son horizon international hérité de son origine au carrefour des peuples gravitant autour de Hébron, se restreint avec l'expulsion d'Ishmael (Gn 21) et risque même l'implosion avec la mort d'Isaac, le seul fils restant après cette expulsion. Mais le sacrifice au temple, en substituant un bélier au sacrifice d'Isaac, évitera cette implosion (Römer "Introduction à l'Ancien Testament", page 236). Le sacrifice du Temple trouve ici sa pleine signification : il évite la mort d'Israël. On peut alors, à une époque où il n'y a plus de temple pour substituer l'animal offert à Israël lui-même, commencer à entrevoir la sacrifice d'Isaac comme image du sacrifice d'Israël, thème qui sera développé après la Shoah ( Beaurent JM "Des harmoniques",  p.225).    
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Le code sacerdotal s'élève énergiquement contre ces pratiques que les Phéniciens suivent avec un zèle spécial, notamment à Tyr dans le culte du Baal Melqart.
Lv 16,21 : "tu ne donneras aucun de tes enfants pour le sacrifier à Moloch et tu ne profaneras pas le nom de ton dieu : moi, je suis YHWH"
Lv 20,2-5 : "Tu diras aux Israélites : quiconque d'entre les Israélites ou d'entre les étrangers qui demeurent en Israël, livrera un de ses enfants à Moloch, doit être mis à mort; L'assemblée du peuple le lapidera. Et moi, je tournerai ma face contre cet homme..."
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(RELECTURE 2)
Au temps de la persécution d'Antiochus Epiphane.

Au temps des martyrs

Au temps où le culte du Temple est retiré à Israël, le sacrifice d'Isaac ne sera plus remplacé par celui du bélier mais sera bel et bien exécuté, comme meurent bien réellement les martyrs de la persécution grecque. Comme en (2 M 7), l'offrande réellement exécutée par Abraham de son enfant, à l'image de l'offrande par la mère de ses sept fils, mettra en évidence sa foi en la résurrection. Ces interprétations du sacrifice d'Isaac accompli réellement sont connues de l'auteur de l'épitre aux Hébreux (He 11,17-19).
(RELECTURE 3)
Hébreux ; Matthieu ; Marc ; Jean

Le Fils unique et bien aimé (LXX) devient Jésus

C'est cette version que connaîtront les chrétiens dans (He 11,17-19). Ils pourront alors, avec l'Evangile de Jean, parler de Dieu Père qui a offert son fils chéri (cf. Gn 22 dans la LXX) sur la croix pour le ressusciter. Cf. (Mt 3,17) ; (Mc 12,6) ; (Jn 3,16). 
En Canaan - comme dans d'autres religions - le chef, le roi, a coutume d'offrir son fils en sacrifice lorsqu'il fonde une ville, pour obtenir la protection des dieux.
Dans les mémoires, l'ancêtre a été confronté a ces coutumes de Canaan...
Lorsque l'histoire d'Abraham, l'ancêtre, est écrite, la question de sa postérité est essentielle ; ce récit indique la proximité - en même temps que les distances prises - avec ces cultes au Molok.
Ce récit sera relu après l'exil et portera alors l'expérience tragique d'un peuple qui a failli disparaître de la terre.
Très tôt, les chrétiens reliront ce récit  à la lumière de la mort et de la résurrection de Jésus, le Fils bien aimé du Père(cf. Heb 11). Mais aussi pour souligner la primauté de la foi en Dieu qui peut tout, sur la pratique de la Torah (cf. Paul aux Ga et aux Rm).
L'islam reprendra ce récit et y verra un modèle d'obéissance sans faille à la parole de Dieu.

En bref : Le sacrifice d'Isaac

Ce récit montre combien les origines d'Israël ont été marquées par ces rites. Certains rois d'Israël, mais aussi de Juda, ont cédé à cette coutume (1 R 16,34); (2 R 16), (2 R 2-4); (2 R 21 5-9).
Mais le récit indique un passage : si Abraham se soumet à l'usage, l'intervention de Dieu marque un refus de ce culte :  un animal est donné, de manière inattendue, gratuite, et au dernier moment, afin qu'Isaac ne soit pas immolé. YHWH, n'est-il pas le dieu du désert qui pourvoit, de manière miraculeuse, à la survie de son peuple ? C'est en lui - et non au Molek ou autres divinités - que le patriarche est appelé à mettre sa foi pour l'avenir de sa lignée. YHWH n'agrée pas les sacrifices d'enfants.
Ce récit prend un caractère prophétique car il invite à la foi en YHWH, envers et contre tout, alors même que la survie du peuple est en jeu. Le judaïsme en particulier y verra une annonce de l'Exil, et de toutes les grandes épreuves auxquelles le petit reste a échappé de justesse.
Pour les chrétiens aussi, ce récit a un caractère prophétique :
Paul souligne la foi d'Abraham, (Ga; Rm 3; voir aussi Hé 11); En effet, c'est bien par la foi et non par les les oeuvres (circoncision et pratique de la Torah) que l'on peut être ajusté à Dieu. (+1)
en effet, ils reconnaissent dans la figure d'Isaac, le fils unique, le Bien aimé du Père, obéissant jusqu'à la mort de la Croix (Phi 2), lié sur le bois,  s'offrant librement pour qu'en son pardon, puisse naître un peuple nouveau.
Pour l'islam, Abraham est avant tout le modèle d'obéissance de tout musulman.
Ainsi, Abraham peut-il être le père des croyants juifs, , père de la foi, endosse-t-il, jusqu'à aujourd'hui, de nombreux actes de foi.
De nombreux croyants reconnaissent dans l'histoire d'Abraham, leur propre histoire de foi et y entendent l'appel à croire contre toute espérance. 

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(+1) : la foi dans les lettres de saint Paul vise l'ouverture au fait que Dieu puisse faire du neuf, la foi en Dieu à qui rien n'est impossible; c'est cette foi qui est requise pour accueillir Jésus. "Les oeuvres" renvoient à la pratique de la Torah, or, c'est au nom de cette pratique de la Torah que Jésus a été refusé par les autorités religieuses de Jérusalem. 
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Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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