Définitions du mythe

   Les fondamentaux du Mythe
 
 
A- Le mot « mythe » dans les dictionnaires
 
En grec :
 
Le mot vient du grec Muthos/récit rituellement proclamé
Après Homère : fable, légende, conte
 
En français :
 
(Larousse 1986 et donc le sens commun aujourd’hui)
1.     Récit populaire ou littéraire mettant en scène des êtres surhumains et des actions imaginaires dans lesquels sont transposés des événements historiques, réels ou souhaités, ou dans lesquels se projettent certains complexes individuels ou certaines structures sous-jacentes des rapports familiaux ou sociaux.
2.      Construction de l’esprit qui ne repose pas sur un fond de réalité
3.      Représentation symbolique qui influence la vie sociale (exemple : mythe du progrès)
(Littré 1974 sens plus classique)
1.      Récit relatif à des temps ou à des faits que l’histoire n’éclaire pas et contenant soit un fait réel transformé en notion religieuse, soit l’invention d’un fait à l’aide d’une idée. Le mythe est un trait fabuleux qui concerne les divinités ou des personnages qui ne sont que des divinités défigurées ; si les divinités n’y sont pour rien, ce n’est plus mythe, c’est légende ; exemple : Roland à Roncevaux…
2.      Figuré et familièrement : ce qui n’a pas d’existence réelle : par exemple, on dit qu’en politique, la justice et la bonne foi sont des mythes.
 
Synthèse des dictionnaires français :
1.      Les deux définitions gardent le caractère récité du mot Muthos en grec.
2.      L’histoire y est essentielle soit qu’on la considère comme transposée (Larousse), ou comme fait réel transformé en notion religieuse (Littré).
3.      Alors que le Larousse remplace les divinités par des « êtres surhumains », le Littré note judicieusement qu’en leur absence ce n’est plus du mythe mais de la légende (Roland à Roncevaux).
4.      Le récit, ouvert sur les dieux, racontant l’origine du monde environnant (le Nil en Egypte, les deux fleuves en Mésopotamie, le désert dans la Bible) est absent de ces deux dictionnaires, à moins qu’il ne soit évoqué chez Littré par « temps ou faits que l’histoire n’éclaire pas », autrement dit la préhistoire et son origine.
5.       Le Larousse privilégie un dernier sens en ramenant le mythe à un transfert psychanalytique (Ex : mythe d’Œdipe) ou à un complexe familial ou social (mythe du progrès). Il rejoint le Littré qui y voit parfois une représentation symbolique de la société.
 
 
B - L’anthropologie et le mythe
 
Axel Kahn (généticien athée) définit l’homme par sa capacité à capitaliser la mémoire de son passé (jusqu’à l’originel) pour en faire un projet d’avenir susceptible d’améliorer sa condition (jusqu’à l’au-delà de sa mort).
Heidegger : l’homme se sait mortel (Ein Sein zum Tode/un être pour la mort).
Il n’a pas la clef de sa mort, qu’il constate. Dès qu’avec « l’homme de Heidelberg », il accède au statut d’homme, il y a 500.000 ans, il dit sa foi en l’au-delà en enterrant ses morts. Il n’a pas la clef de sa naissance, mais il s’interroge dans le mythe sur l’origine du monde dans lequel il vit.
Jean Marie Beaurent : « C’est drapée dans un récit « kérygmatique » que chaque communauté humaine s’identifie, s’avance, se transmet et lance son défi à la mort. Déjà ici l’histoire commence : dans l’entrelacs des contes, des danses, des chansons, des rituels. Pour être elle-même, l’existence ne se satisfait pas d’être seulement vécue. Il lui faut s’annoncer, se montrer, venir à la lumière : le récit appelle cette lumière et l’accueille… C’est ici que se croisent pour la première fois l’histoire et le divin. Ce n’est pas encore l’histoire au sens biblique (ou moderne), ce n’est pas encore le Dieu transcendant et universel des monothéismes, mais c’est déjà la rencontre entre une instance créatrice d’un cosmos… et le récit qui va déplier et arranger une séquence de vie en lui donnant sens transmissible… « Les murmures de la vie sur la terre laissent parfois jaillir la symphonie des dieux », comme dit Jacques BERNARD dans le montage Mess’Aje (1er seuil) ». (Tiré de Jean Marie Beaurent dans un de ses derniers écrits non encore publié).
 
 
C - Le Mythe dans la Bible
 
Le « mythe » est
1.      le récit par lequel un peuple transmet aux générations qui le proclament…
2.      …la naissance du monde qui les entoure, opérée par les dieux…
3.      …et le sens de son histoire dans ce monde, ouvert sur l’au-delà depuis sa naissance jusqu’à sa mort
Le mythe tisse l’histoire du peuple luttant pour son devenir, sur la trame racontée de la naissance du monde, opérée par les dieux. C’est la fécondation mutuelle du récit de l’histoire sur celui de l’origine du monde qui fonde le sens de la vie d’un peuple dans son univers et en constitue « les fondamentaux » (Pour éviter toutes les ambiguïtés du mot mythe, nous le remplaçons volontiers par l’expression « les fondamentaux »).
Le mythe est liturgiquement proclamé aux grands tournants de l’existence ou de l’année.
Les fondamentaux, donnant sens à la vie, vont être à l’origine des codes, des rites et des institutions.
 
 
D – Un piège à éviter
 
La tendance exégétique chrétienne, du début du XX° s. jusqu’au concile Vatican II a été de montrer que toutes les découvertes exégétiques vérifiaient le bien fondé du récit biblique. L’archéologie se faisait alors « bible en main » et l’archéologue avait pour mission de démontrer que la Bible avait raison (cf. « Und die Biebel hat doch recht »/ Et la Bible avait bien raison, Werner Keller, vendu à 22 millions d’exemplaires). La Bible était de l’histoire (linéaire) et non du mythe (cyclique). L’univers était alors coupé de sa transcendance (attribuée à l’imaginaire mythique) au profit de celle de l’histoire (qui seule exprimait le salut). C’était comme si la Révélation ne se lisait pas dans l’univers en même temps que dans l’histoire. Ou finalement, comme si Jésus ne s’était pas incarné dans l’univers en même temps que dans l’histoire.
Après Vatican II, cette position est encore tenue par Oscar Cullmann[1] qui a proposé l’alternative suivante : la Bible nous fait passer du « mythe » à « l’histoire », sous-entendu, du rêve à la réalité. La Bible se voyait alors présider au passage du « monde sacral » à « l’histoire » [2]. Il fallait, disait-on, extraire l’histoire de la gangue des mythes.
 
E – La réduction archéologique
 
Depuis Vatican II, l’archéologie ne se fait plus « Bible en main », mais à la lumière de l’histoire. Les chercheurs comparent ce qu’ils découvrent sur le terrain et le sens que prennent ces découvertes dans les cultures des peuples de l’époque (Ugarit, Assyrie, Babylone, Perse, hellénisme et Rome). La Bible est alors lue à travers un double prisme culturel : Connaissance du terrain par les fouilles archéologiques (Finkelstein etc.). Connaissance des cultures environnantes (cf. Thomas Römer etc.).
 
F – La réduction aux cultures voisines
 
Mais un autre danger guette cette lecture « archéologique » et « acculturée ». La priorité donnée au prisme culturel pour comprendre la Bible fait que cette dernière est réduite à n’être qu’une culture parmi d’autres, et qui plus est, une culture dont le sens est emprunté au sens que les historiens donnent à leurs découvertes des cultures environnantes ou du terrain.
C’est là une autre impasse : ce n’est plus, « la Bible avait raison », l’archéologie le prouve, mais : « Voici le sens raisonnable que les cultures donnent à la Bible » ; le sens que l’on donne aux découvertes archéologiques ou culturelles faites sur les populations environnantes détermine le sens à donner aux textes de la Bible.
Prenons un  exemple : Armin Steil (1993) propose une lecture des crises religieuses dans les populations les plus diverses, à partir de trois actants principaux : les « prophètes » qui projettent un avenir, les « prêtres » conservateurs religieux, et les « mandarins » qui écrivent l’histoire. Appliquant ce modèle à la Bible : Dans la Bible les prophètes porteront l’utopie, les prêtres le « mythe fondateur » (Pentateuque) et les « mandarins » l’histoire deutéronomiste de l’Exode à l’Exil[3]. Cette lecture peut aider à comprendre certains aspects de la Bible. Mais, outre le fait que cette partition entre l’utopie, le mythe et l’histoire est loin d’avoir l’assentiment des historiens des religions (Cf supra), cet outil ne permet pas de déterminer la manière dont la foi vit ces structures ni le sens qu’elle leur donne, lequel est pourtant bien présent dans les textes qu’elle produit. Car c’est bien la foi qui, de crise en crise, produit les textes de code, rites et institutions, sur la trame de cosmologie et d’histoire qu’elle assume de manière originale dans le concert des religions environnantes. Et ces codes, rites et institutions seront, à chaque « Seuil » de cette foi, réajustés à celle-ci.
 
 
 
G – Pour éviter ces réductionismes
 
Ces quelques exemples dans le domaine de l’articulation entre le mythe et l’histoire, donnant la priorité au prisme culturel ou archéologique pour comprendre la Bible, montrent que les parallèles culturels risquent de la réduire à n’être qu’une culture parmi d’autres. Et cette culture voit son sens emprunté à celui que les historiens donnent à leurs découvertes des cultures environnantes ou du terrain. Or l’outil d’investigation que ces cultures représentent, ne détermine pas la manière dont la foi les vit ni le sens qu’elle leur donne, lequel est pourtant bien présent dans les textes qu’elle produit.
 
1.      Les exemples donnés plus haut à partir du modèle sociologique d’Armin Steil (1993) ou de l’archéologie de Finkelstein, pourraient se généraliser à presque toutes les autres voies d’interprétation par la culture ou l’archéologie.
2.      On pourrait, en effet, faire la même remarque à partir d’un autre modèle sociologique : celui du « bouc émissaire » de René Girard. Dieu sait si ce modèle sociologique est fécond pour entrer dans la complexité des luttes intertribales ou des guerres qu’Israël a livrées avec les autres peuples. Mais cet outil sociologique ne détermine pas la manière dont la foi a vécu ces tensions de jalousie mimétique et a modulé leur usage. Cette manière spécifique de vivre ces structures est pourtant présente dans les textes que la foi a produits.
3.      Il en va de même pour le modèle d’« assimilation/rejet » (Durkheim  sur les tribus segmentaires). Dieu sait s’il permet de comprendre bien des péripéties de l’histoire biblique, surtout aux deux premiers « Seuils » de la foi. Mais l’outil sociologique n’épuise pas la teneur des « credo » qui résulteront des accords entre tribus, pour « assimiler » ou « rejeter » ce qui leur était étranger. Le souffle de ces « credo » venait d’ailleurs, du désert sans doute ou les tribus, qui connaîtront l’assimilation/rejet avec les cananéens, avaient vécu une expérience de Dieu qu’ils ne retrouvaient pas en Canaan.
4.      On pourrait multiplier les exemples et les appliquer à tous les outils culturels d’analyse que l’exégèse s’est donnés, que ce soit les « genres littéraires », les structures linguistiques, littéraires ou narratives, les lectures « au risque de la psychanalyse », etc. On poursuivra donc cette analyse en faisant le tour des méthodes dans CBP L’interprétation de la Bible dans l’Eglise (Cerf 1999) p.34-64 et en consultant les développements sur les « Seuils de la foi » (Cf : J.BERNARD, Mariage dans la Bible en préparation, polys à disposition)
 
En bref :
Entre l’interprétation de la Bible par l’archéologie et l’interprétation de la Bible par la culture, y a-t-il un autre accès à la Bible ? En s’appuyant sur les études archéologiques et celles des cultures, il semble possible, de discerner une originalité interne à la Bible qui lui viendrait de la « foi » qu’elle y exprime et qui s’y développe. La foi est tout autant productrice de textes que la culture environnante et le terrain sur lequel elle vit son histoire. Cette foi productrice de textes peut, elle aussi, se pressentir à travers les textes. Elle peut donc être, elle aussi, objet de la quête scientifique.
Bien plus, cet accueil de la foi comme génératrice de textes a alors une fonction euristique. Le croyant ne met pas forcément dans les textes ce qu’il veut, dès l’abord, y trouver (cercle herméneutique), mais remonte des effets, en terme de changement de codes, rites et institutions, jusqu’à leurs fondamentaux et la foi qui les a posés.


[1] Oscar Cullman, « Salvation in history », 1967.
[2] Ceci a parfois inspiré la catéchèse Mess’Aje et il est souvent difficile de revenir en arrière.
[3] Thomas Römer « L’invention de Dieu...2013 p. 282s
 

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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