Verset(s) de la Bible Ap 12,1-17

Dans le livre de l'Apocalypse, un certain nombre de visions se succèdent. 
Ici, c'est une femme enceinte qui apparaît comme un signe grandiose dans le ciel. Elle met au monde un fils qu'un dragon attend pour le dévorer. 

Quelle est le sens de cette vision ? 
Qui est cette femme enceinte ?  
Et ce dragon, que symbolise-t-il ?
En quoi tout cela est-il un signe grandiose ? 

Là encore, c'est en remettant le texte dans son contexte que le sens de la vision apparaît.

Voir commentaire ci-dessous après le tableau.  

Vision de la femme et du dragon

(12,1) Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ;  
(12,2) elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement.  
(12,3) Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème.  
(12,4) Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né.  
(12,5) Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer ;  
(12,6) et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône, tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1.260 jours. 
(12,7)
Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges,  
(12,8) mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel.  

Bible de Jérusalem (Ed. 1975) 

pour voir le texte complet de Ap 12,1-17

Voir aussi (Les fondements bibliques, pages 308 et 440)
Ce tableau permet de situer la genèse d'un texte biblique (Mémoire, Écriture, Relecture) dans un contexte
de religions environnantes, seuil par seuil, dans des expressions de foi situées.
Religions environnantesSeuilExpressions de la FoiGenèse du texte
 
  La religion mésopotamienne 1 Les dieux du ciel - Aux origines    
  La religion égyptienne Patriarches - Le semi-nomadisme    
  La religion d'Ugarit Assimilation/rejet - Immigration    
 Début de l'écriture biblique
    - VIIIe siècle Le Baal syro-phénicien 2 Luttes contre Baal - Royaumes unifiés    
    - VIIe siècle Le Marduk assyrien Trahison du frère - Chute de Samarie    
L'Alliance - Le Temple de Josias    
    - VIe siècle Le Marduk babylonien Hénothéisme - L'Exil    
    - Ve siècle
- IVe siècle
Mazdéïsme perse Monothéismes d'Alliance    
Prêtres et Légistes - Second Temple    
Courant apocalyptique    
    - IIIe siècle L'Hellénisme égyptien Hellénisation - Alexandre    
    - IIe siècle L'Hellénisme syrien Persécutions - Antiochus IV    
    L'Hellénisme syrien Séparation des Asmonéens - Esséniens    
    - Ier siècle Rome La foi dans un Judaïsme éclaté    
 
    de 0 à 33 Judaïsme officiel et apocalyptique sous domination romaine 3 Jésus, irruption d'un nouveau monde    
Jésus et le Temple    
Jésus et la Torah    
Jésus et la Pâque    
 Premiers écrits du Nouveau Testament
    de 33 à 70 Judaïsme officiel 4 A Jérusalem    
Missions Judéo-chrétiennes    
En Samarie    
En Syrie    
A Rome    
A Ephèse ECRITURE 1  
 La tradition patristique
    + 135 Judéo-christianisme   Les Pères apostoliques    
Les Pères d'Orient    
Les Pères d'Occident    
Les Pères du désert    
Des Victorins aux Scholastiques    
 
(ECRITURE 1) 

Ce texte est écrit à Ephèse (Turquie actuelle), ville de l'empire romain où demeure une communauté chrétienne. Le lieu imprime un sens à la vision.
 
Le livre de l'Apocalypse est attribué à l'apôtre Jean. 

En fait, c'est sans doute un ou plusieurs disciples de Jean qui seraient l'auteur de ce livre, (un judéo-chrétien QSNT 831) 
Le livre a du être écrit dans les années 92, au temps d'une violente persécution de l'empereur Domitien. 

Le paysage d'Ephèse et son contexte

(12,1) Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! le soleil l'enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ;
A Ephèse, du haut de la colline abrupte surmontée d'un ancien culte baptiste (+1) sur lequel est bâtie une Église chrétienne (+2), on voit la ville basse, centre du culte d'Artémis et du culte de la lune. 
L'embouchure du fleuve Caystre y est envahie par la mer et ses sédiments, comme un dragon crachant sa fumée. Les archéologues allemands pensent que c'est un des lieux ou "Jean" aurait écrit son Apocalypse. La communauté chrétienne étant située tout en haut sur l'ancien culte baptiste, la Vierge Marie y est vue comme le soleil (devenu symbole de résurrection), couronnée d'étoiles que sont les douze Apôtres ; la lune est sous ses pieds : la femme tient les idoles d'Ephèse sous ses pieds (Gn 3,15).

(12,2) elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement. 
L'enfant en train de naître est l'Eglise d'Ephèse persécutée. 
La mer qui envahit le delta du fleuve symbolise un dragon attaquant l'enfant prêt à naître. La vision s'appuyait sur le paysage, mais avec le dragon rappelant le serpent de la Genèse (Gn 3), c'est une autre symbolique, le dragon est le persécuteur romain.
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(+1) Une communauté baptiste a vécu à Ephèse avant l'implantation d'une communauté chrétienne. Cf. Ac 19.
(+2)

Selon une tradition ancienne, la vierge Marie aurait habité dans ce lieu.
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Second signe : l'Enfant et le dragon

(12,2) elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l'enfantement.
Si, dans le contexte géographique d'Ephèse, le symbole était clair (Femme =  église persécutée), dans le contexte littéraire, il l'est moins.
En effet, dans la littérature apocalyptique, la signification sous-jacente est toute autre : la femme représente la synagogue attendant la venue du Messie (+1). Mais Jésus étant déjà venu en Marie, la naissance du messie n'est plus attendue sauf si on considère que la femme enceinte, c'est Marie et l'Église qui continuent le premier enfantement. 
Jésus a été refusé et crucifié, le nouvel enfant mâle qu'est l'Église est aussi refusée et persécutée par Domitien.
(12,3) Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge-feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d'un diadème.
Les sept têtes et les dix cornes dans le langage apocalyptique de Daniel désignent toujours des rois persécuteurs dont les têtes sont surmontées d'un diadème (Cf. Livre de Daniel)(+2).
(12,4) Sa queue balaie le tiers des étoiles du ciel et les précipite sur la terre. En arrêt devant la Femme en travail, le Dragon s'apprête à dévorer son enfant aussitôt né.  
Le Dragon dans le ciel, désigne les anges responsables du Déluge (Gn 6). Ce récit sera interprété comme la première expression d'un péché originel dans le langage apocalyptique. Plus tard le même courant apocalyptique qui voit dans le péché originel l'appel à une nouvelle manifestation de l'Amour de Dieu, fera le lien avec le serpent de Gn 3,15 qui au début disait simplement l'hostilité entre le berger et le serpent qui détruit son troupeau. Cela donnera lieu à une lecture de Gn 3,15 selon le protévangile, dans lequel la femme (Marie) écrasera la tête du serpent (le démon). Notre texte de l'apocalypse se situe au tournant de ces deux interprétations, la première juive et la seconde chrétienne.
 
(12,5)Or la Femme mit au monde un enfant mâle, celui qui doit mener toutes les nations avec un sceptre de fer. 
Cette interprétation de la femme dans le ciel est conforme à cette interprétation de Gn 3,15 dans le protévangile.
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(+1)
C
ette attente est manifeste dans certains textes de Qumran, de teneur apocalyptique. L'hymne 1Q3,7-12 en donne un bon exemple, dont nous donnons quelques extraits (BEI p.241s) :
Et je fus dans le désarroi ; telle une femme qui va enfanter, au moment de ses premières couches... afin que celle qui est enceinte mit au monde son premier-né...
Celle qui est enceinte de l'homme est en travail dans ses douleurs car dans les flots de la mort elle va donner le jour à un enfant mâle et dans les liens du Shéol va jaillir du creuset de celle qui est enceinte un merveilleux conseiller avec sa puissance et il délivrera des flots tout un chacun grâce à celle qui est enceinte de lui. 

(+2) 
Il y a sept empereurs précédant Domitien : 
1° Auguste (31-14) 2° Tibère (14-37) 3° Caligula (37-41) 4° Claude (41-54) 5° Néron (54-68) 6° Vespasien (69-79) 7° Titus (79-81). 
Puis le 8° Domitien (81-96), suivi de 9° Nerva (96-98) 10° Trajan (98-117). Il y en aura 10 jusque Trajan. Les Flaviens (6.7.8) sont les trois grenouilles crachées après l'incendie du Capitole (Ap 16,13). Domitien est le 3° des Flaviens dont le 1°(Vespasien) a amené la chute de Jérusalem. 
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La persécution et sa durée

(12,6) et son enfant fut enlevé jusqu'auprès de Dieu et de son trône,
Ce verset évoque les prophètes persécutés à commencer par Elie qui fuit au désert (1 R 19) avant de remonter dans le ciel. Mais surtout, Jésus qui remonte dans le ciel après sa mort. Cela concerne aussi Marie, Mère de Jésus. Quand l'auteur écrit vers 92, Marie est déjà allé rejoindre son Fils dans le ciel où vit sa nouvelle maternité dans l'Eglise.

tandis que la Femme s'enfuyait au désert, où Dieu lui a ménagé un refuge pour qu'elle y soit nourrie 1.260 jours.
Marie a suivi l'Église de Jérusalem jusqu'à Ephèse ; avec elle, elle a dû fuir au désert. Du ciel, elle voit l'Église persécutée sur terre par Domitien. 
Jusqu'à quand durera cette persécution ? 
L'auteur reprend, pour envisager cette fin, le livre de Daniel qui dit que la persécution durera "trois temps et la moitié d'une temps" (Dn 7,25 ; 12,7), soit 42 mois ou 1260 jours, c'est-à-dire la durée de la persécution d'Antiochus Epiphane,(Ap 11,2).

La victoire de Michel et des bons anges

(12,7) Alors, il y eut une bataille dans le ciel : Michel et ses Anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta, avec ses Anges,
Nouvelle référence au livre de Daniel avec la victoire de Michel ou Michaël. Ce n'est pas Gabriel qui intervient comme dans les interprétations des visions, mais Michel, l'annonciateur de la résurrection en (Dn 12). De même, après la persécution, Michel et ses anges auront la victoire sur les anges déchus  et ce sera l'instauration de la résurrection dans le ciel des martyrs.

(12,8) mais ils eurent le dessous et furent chassés du ciel.
Les démons sont jetés sur la terre et n'ont plus leur place dans le ciel, vraie patrie des justes :
(12,9) On le jeta donc, l'énorme Dragon, l'antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l'appelle, le séducteur du monde entier, on le jeta sur la terre et ses Anges furent jetés avec lui.
(12,10) Et j'entendis une voix clamer dans le ciel : "Désormais, la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre Dieu, et la domination à son Christ, puisqu'on a jeté bas l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu. 
C'est la foi apocalyptique dans laquelle le Satan accuse jour et nuit les hommes après le péché des mauvais anges (Gn 6). (+1) 
(12,11) Mais eux l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et par la parole dont ils ont témoigné, car ils ont méprisé leur vie jusqu'à mourir.
Le martyre/témoignage rendu à la Parole jusqu'à mourir, en lien avec la victoire de l'Agneau sur la croix, est la victoire de l'homme contre le Satan.
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(+1)
Le mal dans ce courant apocalyptique trouve son origine dans le Satan et dans ceux qui l'écoutent mais non pas non dans l'homme seul comme s'il était capable de lutter contre Dieu et de porter seul la culpabilité de sa révolte contre Dieu.
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L'Eglise d'Ephèse

(12,12) Soyez donc dans la joie, vous, les cieux et leurs habitants. Malheur à vous, la terre et la mer, car le Diable est descendu chez vous, frémissant de colère et sachant que ses jours sont comptés.
La victoire est déjà acquise dans le ciel, mais sur terre, le mal continue son œuvre avec Domitien.

(12,13) Se voyant rejeté sur la terre, le Dragon se lança à la poursuite de la Femme, la mère de l'enfant mâle.
Les enfants de la femme victorieuse avec son Fils dans le ciel continuent à souffrir sur la terre du démon qui y a été jeté après sa défaite au ciel.
 
(12,14) Mais elle reçut les deux ailes du grand aigle pour voler au désert jusqu'au refug où, loin du Serpent, elle doit être nourrie un temps et des temps et la moitié d'un temps.
Mais Dieu veille et donne les ailes du grand aigle (symbole johannique) à la femme qui a trouvé refuge sur ce lieu, où a vécu une communauté baptiste, et qui abrite maintenant encore l'Église chrétienne Sainte Marie. La durée de la persécution est incertaine mais comme chez Daniel, elle se terminera par la victoire de la résurrection.

Jusqu'à la fin des temps

(12,15) Le Serpent vomit alors de sa gueule comme un fleuve d'eau derrière la Femme pour l'entraîner dans ses flots.
C'est encore l'évocation du paysage d'Ephèse où les limons envahissent la ville. (+1)

(12,16) Mais la terre vint au secours de la Femme : ouvrant la bouche, elle engloutit le fleuve vomi par la gueule du Dragon.
La géographie devient symbole du drame cosmique de l'affrontement du bien et du mal (+2)

(12,17) Alors, furieux contre la Femme, le Dragon s'en alla guerroyer contre le reste de ses enfants, ceux qui gardent les commandements de Dieu et possèdent le témoignage de Jésus.
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(+1)
Ils ont recouvert une étendue de 7 km à l'heure actuelle où Ephèse a vu son port englouti dans les alluvions.

(+2) Comme toujours dans le mythe où la cosmogonie est sans cesse interprétée par l'histoire.
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Ce texte du livre de l'Apocalypse a été écrit au moment de la persécution de l'empereur Domitien (92). 
L'auteur n'est pas Jean l'évangéliste, mais un de ses disciples qui a dû fuir avec la communauté de Jérusalem jusqu'en Turquie actuelle. Mais à Ephèse aussi, la persécution contre les chrétiens sévit. 

En bref, la femme dans le ciel et la persécution à Ephèse

Le signe grandiose dans le ciel est celui de l'espérance pour cette communauté de chrétiens persécutés.
L'image du dragon renvoie à la puissante Rome qui a rasé le Temple de Jérusalem, écrasé le peuple juif dans toute la contrée palestinienne (Qumran, Massada...) et qui s'acharne sur les communautés chrétiennes naissantes dans l'empire. Ici, à Ephèse, le dragon se manifeste jusque dans les éléments naturels : le fleuve avec ses alluvions ressemble à une gueule béante qui crache une lave noire. Mais ce qui se passe sur la terre n'est que le pâle reflet de ce qui se joue dans le ciel : la femme/Eglise/ Marie est enceinte. Elle est en train de mettre au monde un fils : Jésus/Corps du Christ/chrétiens ; cet enfant en train de naître est déjà promis à la mort... Mais Dieu prend soin de ses enfants qui naissent à la foi et il enverra Michel, comme autrefois au temps de la persécution relatée dans le livre de Daniel, et ce Michel est victorieux des puissances maléfiques. Aussi, les petites communautés de chrétiens ne doivent pas craindre, car la victoire est déjà acquise dans le ciel. C'est l'Agneau qui est vainqueur ! Et cette victoire, le chrétien l'acquiert totalement dans la fidélité à Jésus, jusqu'à la mort. Cette victoire, il l'actualise dans son union au Christ qui s'est donné tout entier pour son Eglise (Ep 5).

Les publications de référence :

Les Seuils de la Foi

Editions Parole et Silence et Université Catholique de Lille

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